De l’enfant-objet à l’enfant-roi

Unicef

L’enfant n’a pas toujours occupé la même place au cours de l’Histoire et selon les milieux sociaux. Pendant des siècles, il n’était pas considéré pour lui-même mais surtout pensé par rapport à l’adulte : descendance, force de travail, etc. Aujourd’hui en Occident, objet de toutes les attentions, il est devenu un individu à part entière. Le 20 novembre 2014, la Convention internationale des Droits de l’Enfant qui agit pour améliorer leurs conditions de vie à travers le monde, a fêté ses 25 ans.

Chez les peuples de l’Antiquité, l’enfant était considéré comme dénué de réflexion, de logique ou encore d’intelligence propre et relégué au statut de « non citoyen ». Il n’avait pas sa place au sein d’une structure sociale. Le mineur faisait partie du domaine privé, réduit à l’équivalent d’un objet soumis. Au Moyen Age par contre, il est vu comme un petit homme. Aucune distinction ne le sépare de l’adulte. Il ne bénéficie pas par conséquent de protection ou de droit spécifique et rentre très rapidement dans le monde du travail. Et ce, jusqu’à la fin du 19 siècle où l’enfant représente une force de travail très utile dans une Europe occidentale rurale et agricole.

Pourtant, à partir du 16e siècle, on assiste au début d’un processus d’individualisation du jeune. Au 19 siècle, il occupe une place plus grande. L’éducation fait l’objet de plus d’attention.

Depuis le 20 siècle, l’enfant détient une double nature : celle d’un individu à part entière avec ses droits et devoirs et celle de mineur, être fragile que l’adulte se doit de protéger. Aujourd’hui, il se voit au cœur des préoccupations des sociétés modernes. On lui reconnait des compétences réelles d’un point de vue cognitif, social et affectif. Il est devenu l’un des axes de référence de la famille contemporaine.

L’enfant dans la Tora

Donner un nom à un enfant juif représente un moment de très profonde spiritualité. Les sages disent qu’il engage ainsi son caractère et son chemin dans la vie.

D’après le docteur Michael Aboulafia, psychiatre pour enfants et adolescents, directeur des centres Levava de Jérusalem et de Tel Aviv, la Tora ne considère pas le jeune comme un petit adulte mais comme une entité indépendante dès sa naissance. Il constitue donc un être en soi et non une extension de son père ou de sa mère. Chaque âge est ensuite envisagé comme un état de passage : circoncision, rachat du premier né, coupe de cheveux, tsitsit, etc. Ceci implique une réflexion sur chaque moment comme une étape essentielle. Jusqu’à sa bar/bat mitsva, l’enfant subit une influence de haut en bas c’est-à-dire de la vérité vers la réalité. A sa majorité religieuse, son corps hormonal s’éveille et l’ordre s’inverse de bas en haut.

Dans le droit hébraïque, le respect de l’enfant est évoqué : ne pas le blesser, le médire, le diffamer. Selon différente sources (Shema, Rambam, Mishna), il a également droit à l’éducation. Au niveau du statut familial, on ne peut le placer sur un même pied d’égalité avec le père. Entre les deux existe un lien naturel d’autorité, comme base de la relation. La force de l’autorité soumet le père à l’obéissance du fils. La Mishna définit les droits de l’enfant en tant que ‘’commandements du père à son fils ", c’est-à-dire que les lois qui se rapportent au petit sont imputées au père. Donc du point de vue religieux, accorder des droits à l’enfant par rapport à son père le met à sa hauteur. Enfin, la Tora exige que l’enfant respecte ses parents avec amour.

Socio-psycho-pédagogie de l’enfant

Le mineur, considéré jusqu’à récemment comme une charge par la famille, a longtemps été absent dans la sociologie. Omis, effacé ou ignorée, il ne suscitait qu’un intérêt secondaire et indirect. Ce n’est que nouvellement que le regard académique s’est porté plus directement sur cette tranche d’âge. À la fin du 19 siècle, deux Juifs, Emile Durkheim, fondateur de la sociologie en France et Sigmund Freud, concepteur de la psychanalyse en Autriche, attribuent simultanément à l’enfant une place dans les nouvelles disciplines des sciences sociales et humaines. La psychanalyse reconnait à au petit des instances psychiques et des complexes qui lui sont propres, la pédagogie le voit comme un être social à éduquer. Au 20 siècle, l’enfant devient un sujet d’étude en soi. La psychologie infantile se développe. A partir des années 60, le jeune se mue en acteur social à part entière, culturellement, économiquement… La sociologie lui confère un statut et un rôle. Dès lors, il n’est plus possible d’envisager les problèmes éducatifs, scolaires, familiaux ou médiatiques sans s’interroger sur la nouvelle condition de l’enfant dans la modernité. Lieu d’éducation, de prévention et de protection, l’école contribue de la sorte à la construction progressive de la citoyenneté et à l’acquisition de l’indépendance économique. Elle joue ainsi en principe un rôle dans le développement harmonieux de l’enfant. Enfin dernièrement, les recherches en sciences cognitives permettent de mieux comprendre l’organisation cérébrale du cerveau du jeune enfant et ses modifications par les processus d’apprentissage.

Les Droits de l’Enfant aujourd’hui

La protection de l’enfance demeure une question de société qui concerne l’ensemble des citoyens et des institutions démocratiques. Car longtemps le mineur est resté une "propriété" dénuée de statut légal indépendant de l’unité familiale. En Occident, du moyen-âge au 18e siècle, le jeune est clairement nié juridiquement. Il n’existe pas comme une personne ayant des besoins et des possibilités propres. Il ne dispose d’aucun droit. Il règne une indifférence totale à son égard. La fin du 18 siècle marque l’amorce d’une reconnaissance législative de l’enfant. Ainsi, plusieurs lois spécifiques sont adoptées dans divers domaines. Aujourd’hui dès sa naissance, la place de l’enfant s’apparente à celle de tout citoyen.

Tout commence en 1924 avec l’adoption de la Déclaration de Genève, premier texte historique qui reconnaît et affirme l’existence de droits spécifiques aux enfants et surtout, la responsabilité des adultes envers eux. Elle proclame les principes de base de la protection des jeunes. Ce traité s’appuie sur les idées du Dr. Janusz Korczak, célèbre pédiatre juif polonais mort à Auschwitz. Cette Déclaration devient alors la charte fondamentale de l’Union internationale de secours de l’enfant (UISE), adoptée ensuite par la Société des Nations. Il faut attendre 1979 pour voir la première Année internationale de l’enfant. Dix ans plus tard, l’UNICEF et les 48 États membres de la Commission des Droits de l’Homme signent le 20 novembre 1989 la Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) qui marque l’évolution du statut de l’enfant, devenu sujet de droits.

Les 54 articles de la Convention concernent tous les enfants et définissent leurs droits civils, économiques, politiques, sociaux et culturels tels que : la non discrimination selon le sexe, l’état de santé, l’origine ethnique ou sociale, la langue, la religion, les opinions et la nationalité ; l’instruction primaire obligatoire et gratuite pour tous ; la liberté d’expression et de conscience ; la dignité ; le droit au repos et aux loisirs ; une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d’emploi ; la sécurité ; la santé ; la justice.

C’est l’UNICEF qui est chargé par les Nations Unies de suivre l’application de la Convention et d’accompagner les actions menées par les 194 pays qui l’ont signée. Il assure en principe aux 2,2 milliards d’enfants de moins de 18 ans à travers le monde d’avoir une identité (prénom, nom, nationalité) ; d’aller à l’école ; d’être soignés correctement (vaccination, eau potable) ; d’être bien traités par les adultes et protégés contre toute forme de violence (sexuelle, physiques, mentales), de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’exploitation sexuelle, d’usage de drogue, de production et de trafic illicites de stupéfiants, d’engagement dans la guerre, de vente ou de traite ; d’avoir le droit de parole, de religion, de s’informer et le droit à la vie privée.

Grace à la CIDE, depuis un quart de siècle, la mortalité infantile des moins de 5 ans a été réduite de moitié, la scolarisation des moins de 11 ans multipliée par deux, le travail des enfants (esclavage, travail forcé ou obligatoire, prostitution) réduit par trois. Cependant 168 millions mineurs travaillent encore dans l’agriculture (59%), les services (32%) et l’industrie (7%), principalement dans l’économie informelle. Quelque 85 millions d’entre eux effectuent des travaux dangereux. Pourtant, selon le Bureau international du Travail (BIT), la corvée des enfants n’enrichit pas et ne fait que perpétuer le cycle de la pauvreté.

Quant aux mariages forcés, 11% des filles y sont encore soumises avant l’âge de 15 ans. Et des millions de jeunes filles qui vivent actuellement dans 29 pays en Afrique et au Moyen-Orient sont victimes de mutilations génitales féminines ou d’excision.

Statut de l’enfant en Israel

Au fil du temps, la Cour suprême a établi et protégé les droits fondamentaux, y compris ceux de l’enfant, comme constituant des valeurs essentielles du pays. D’ailleurs, l’Etat hébreu a signé la CIDE en 1991. Cependant, le Comité local des Droits de l’Enfant estime que « beaucoup reste encore à faire ». Les principaux problèmes rencontrés sont : la pauvreté (environ un enfant sur trois vit dans des conditions précaires, surtout au sein de familles monoparentales), la sécurité (attentats, tirs de roquettes, enlèvements) mais aussi la maltraitance familiale, scolaire ou institutionnelle. Pourtant, Israël interdit les châtiments corporels en toutes circonstances. Par contre, d’une manière générale, l’accès aux soins est garanti pour les enfants israéliens dans le système de santé considéré comme de bonne qualité. Côté éducation, la scolarisation est obligatoire jusqu’à 11 ans et en principe gratuite pour tous les enfants entre 5 et 16 ans. Un programme quinquennal vise à assurer l’accès à l’école à tous, y compris ceux ayant des besoins spéciaux comme les handicapés.

Du point de vue légal, la peine maximale encourue par un délinquant mineur âgé de 12 à 13 ans est de 6 mois et la peine maximale encourue par un délinquant mineur âgé de 13 à 14 ans est de 12 mois ; au-delà de 14 ans, la peine encourue est la même que celle prévue pour un adulte. A cet effet, un tribunal pour mineurs créé en 2009 applique le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le délai de prescription pour tout délit commis par un mineur est d’un an, sauf si le délit commis peut nuire gravement à la sécurité du pays. Par contre, aujourd’hui les mineurs ne peuvent plus être détenus avec les adultes.

En outre, en 2010 et 2012, des amendements ont été apportés à la loi sur la capacité légale et la tutelle afin de tenir compte de l’importance pour le jeune de maintenir un contact avec ses deux parents et de reconnaître aux grands-parents le droit d’ester en justice pour exiger de voir leurs petits-enfants, le tribunal pouvant se prononcer en faveur de cette demande s’il estime qu’il en va de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, il reste encore à Israel à faire des efforts pour réduire son impact écologique qui influe sur les perspectives d’avenir des enfants.

Noémie Grynberg 2014