Pourquoi la Russie soutient-elle la Syrie ?

Tartous

Depuis l’époque soviétique, Moscou entretient des relations privilégiées avec le régime baasiste. Et si dernièrement la Russie défend tant la Syrie après avoir lâché l’Égypte et la Libye, c’est pour ne pas perdre son pion historique, dernier point d’ancrage au Moyen -Orient. En effet, la grande crainte du Kremlin face à l’éventualité d’un changement de régime à Damas est de se voir réduit à un rôle de spectateur impuissant dans la région, ce qui serait vu comme une humiliation. Or pour l’instant, Bachar El-Assad offre à la Russie une possibilité de jouer un rôle de grande puissance dans cette partie du monde.

Très inquiète après la chute du régime de Kadhafi en Libye, la Russie soutient le régime sanguinaire syrien pour des raisons économiques, militaires et géopolitiques. D’autant que le lobby prosyrien à Moscou, présent à la fois dans le complexe militaro-industriel et au Ministère des Affaires Etrangères, est très actif.

La Syrie reste donc l’un des alliés essentiels de la Russie dans le monde arabe. La rupture de l’axe Moscou-Damas constituerait pour le Kremlin une véritable catastrophe. Non seulement Moscou perdrait un bon et fidèle client mais en plus, ses autres partenaires auraient le sentiment que la Russie n’est plus fiable.

Une zone sous influence

Moscou a toujours considéré la Syrie comme une zone d’intérêts russes au Moyen -Orient. Dès l’indépendance de la Syrie en 1944, l’URSS établit avec Damas des relations diplomatiques. En 1963, avec l’arrivée au pouvoir du parti syrien Baas sensé s’aligner sur le modèle communiste, la coopération entre les deux pays se resserre. A tel point que Damas permet à la flotte russe de mouiller dans ses eaux territoriales. De la sorte, le nord de la côte méditerranéenne syrienne devient la seule base militaire navale russe hors des frontières de l’ex-URSS. A la chute du bloc soviétique, les relations se distendent pendant une décennie. Mais dans les années 2000, avec l’entrée de Poutine aux affaires et sa volonté de restaurer la puissance russe, les liens redeviennent étroits. Il s’en suit un net accroissement de la coopération entre les deux pays, notamment dans le domaine de la défense et de l’armement. Pour preuve, Poutine décide en 2005 d’effacer 70% des 12 milliards de dollars de la dette syrienne contractée vis-à-vis de la Russie depuis 1992 en échange d’une promesse de Damas de lui acheter pour 10 milliards de matériel militaire. En 2007, la république arabe signe en effet avec Moscou un contrat, dénoncé fermement à l’époque par Israël et les Etats-Unis, pour l’achat de missiles balistiques de courte portée, de chasseurs-intercepteurs Mig 31 et de 72 missiles de croisière. Récemment, Moscou a donné son accord à la vente de 36 Yak-130, appareils militaires d’entraînement, pour un total de 550 millions de dollars. En tout, le montant des contrats d’armement passés entre eux ces dernières années atteindrait les 4 milliards de dollars. Rien qu’en 2010, la Syrie a acquis pour 700 millions de dollars d’armes russes. La même année, à l’occasion de la visite du président russe Dimitri Medvedev à Damas, plusieurs nouveaux accords portant sur les communications, le trafic aérien, les secteurs scientifiques, technologiques, énergétiques (pétroliers et gaziers) ainsi que sur le tourisme et l’écologie sont signés. Ainsi le volume global des investissements russes dans l’économie syrienne avoisine les 20 milliards.

Sur le plan commercial, on comprend par là à quel point Damas se révèle important pour Moscou qui de ce fait, protège ses intérêts économiques et stratégiques en Syrie. Ce qui dévoile en fin de compte pourquoi la volonté du Kremlin reste d’empêcher une intervention occidentale sur le modèle libyen.

Les craintes russes

Si les adversaires de Bachar El-Assad arrivaient au pouvoir, ils pourraient décider de mettre fin à la coopération avec Moscou. La perspective de perdre son point d’appui en Syrie secoue le Kremlin pour plusieurs raisons. D’abord la Russie s’inquiète du devenir de la base de ravitaillement et de maintenance de sa marine dans le port de Tartous, au nord de la Syrie. Ensuite, le Kremlin justifie officiellement sa position par la crainte de voir les chefs de l’opposition syrienne fortement influencés par les Frères musulmans, lorgner vers les monarchies du Golfe, la Turquie, l’Occident, mais nullement vers Moscou. La montée des islamistes à la tête de l’Etat, en plus de préoccuper les minorités chrétiennes et chiites du pays, constituerait une menace d’éclatement national outre le risque d’un effet domino dans la région. Les objectifs géopolitiques de Moscou s’expliquent donc par la crainte que la chute de Damas ne déstabilise la région et surtout l’Iran, allié de Assad. De plus, les responsables russes n’ont aucune confiance dans les promesses occidentales de non intervention militaire en Syrie, vue le précédent libyen toujours pas digéré. Enfin, la grande peur du Kremlin provient de l’option onusienne d’user du droit d’ingérence humanitaire, permettant l’intervention de forces extérieures pour protéger les populations civiles en danger, et de son application un jour à la Russie.

Les calculs politiques de Moscou

Par rapport au calendrier électoral de la présidentielle russe, Vladimir Poutine se voyait mal céder aux pressions de l’Occident et abandonner un allié de longue date. Le Kremlin entend apparaître comme l’arbitre et le pacificateur du Moyen-Orient, pour en contrôler les richesses naturelles et conforter sa propre place dans le concert international. D’ailleurs, selon certaines informations, les services de renseignement des deux pays finaliseraient les dernières mesures d’un accord russo-syrien visant à éradiquer définitivement la révolte.

Pour conclure, d’après les déclarations officielles de Moscou, la position de la Russie aux Nations Unies, en particulier au sein du Conseil de sécurité, reflèterait son « désir d’assister au règlement pacifique d’un soulèvement populaire dans une dictature par voix de dialogue interne ». Ce serait bien la première fois.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2012