La fin de l’autocratie Moubarak, et après ?

Egypte

Jusqu’à la chute de Moubarak, l’Egypte restait classée dans les nations non libres malgré son simulacre démocratique procédural. Avec une vision monarchique de l’exercice et de la transmission des fonctions étatiques, la nature du régime reposait sur l’allégeance des politiques, des ministres et des députés au Président et non sur la compétence des personnes, dans un pays où tous les pouvoirs étaient entre les mains d’un seul homme. Ainsi, l’abus de position dominante du pouvoir égyptien vidait complètement le jeu « démocratique » de son sens.

Jusqu’à la fin de l’ère Moubarak, l’Egypte pouvait être comparée à une sorte de régime militaire détourné, de tendance conservatrice, puisque l’armée, par le coup d’état de 1953, s’est emparé du pouvoir en proclamant la République et lui apportant par là une sorte de légitimité.

Depuis, l’armée a permis d’assurer au régime une certaine tranquillité, n’ayant pas d’intérêt réel à se retourner contre lui, vu les nombreux avantages dont elle jouissait. Sa gestion profitait d’une certaine autonomie par rapport au pouvoir et la bureaucratie dominante était en retour soutenue par l’armée.

Ainsi, depuis 1953, tous les Présidents égyptiens étaient d’anciens colonels. Le pays des pharaons possédait un régime présidentiel fort et autoritaire, déguisé en civil. Le pouvoir exécutif appartenait au Président de la République qui remplissait en même temps le rôle de chef suprême de la police.

Suite à l’assassinat de l’ancien Président égyptien Anouar Sadat en 1981, son successeur, Hosni Moubarak, issu lui aussi de la très redoutée junte militaire, a été nommé à sa place à la tête de l’Etat pour un mandat de six ans renouvelable sans fin. Réélu en 1987, 1993, 1999, et 2005, Moubarak en était à son cinquième mandat. Durant 30 ans, il a disposé du soutien sans faille des barons et des apparatchiks de l’hégémonique Parti Démocratique National (PDN) au pouvoir. Le système politique était d’ailleurs conçu pour lui assurer une solide majorité à tous les échelons du gouvernement.

Au gré des nécessités du moment, les chefs de l’Etat n’ont pas hésité à réviser la constitution égyptienne. Celle de 1971, initiée par Sadat, a été réformée 3 fois : la première fois par amendement par Sadat lui-même en 1980, puis par réformes en 2005 et 2007 par Moubarak. Selon l’amendement de 1980, la loi islamique (Sharia) est devenue la source principale des règles législatives, notamment au niveau des questions sur le statut personnel (mariage, divorce, héritage, etc.) dérivées du Coran.

Quant aux amendements de 2007, ils bannissent les partis politiques religieux (Frères Musulmans).

Cependant, le régime a évité les réformes politiques substantielles, maintenant la pression sur l’opposition comme sur les journalistes indépendants.

Depuis les années 1990, la détérioration des conditions de vie et le manque de liberté politique ont favorisé l’islamisme. Les autorités ont répliqué en emprisonnant des milliers de militants et en évinçant les dissidents politiques. Bien que les infrastructures armées des islamistes aient largement été éradiquées en 1998, le gouvernement a continué de restreindre les libertés civiles et politiques. Vers la fin des années 1990, la croissance économique égyptienne a temporairement soulagé les problèmes socio-économiques et politiques mais après les attaques terroristes de 2001, la croissance est retombée. Le mécontentement populaire s’est répandu en mouvements insurrectionnels et les manifestations antigouvernementales ont brutalement été réprimées à plusieurs reprises, par l’armée rangée aux côtés du pouvoir, consolidant du même coup sa position.

En 2004, Moubarak nommait un nouveau cabinet formé de jeunes technocrates et introduisait quelques réformes économiques, insuffisantes, orientées vers le marché. Pendant ce temps, la gauche, les libéraux et les partis islamistes demandaient des réformes politiques en faveur d’élection présidentielle directe concurrentielle multi-candidate, l’abrogation de l’état d’urgence en vigueur depuis 1981, la levée des restrictions sur la formation des partis politiques et la fin des interférences gouvernementales dans l’action des ONG.

Une société désabusée

La société égyptienne demeurait assez surveillée. La liberté académique restait limitée et sous vigilance gouvernementale. Professeurs et étudiants militant en faveur des droits de l’homme en dehors des classes étaient poursuivis. La liberté de rassemblement et d’association demeurait sévèrement restreinte. La loi permettait d’arrêter toute personne insultant le président, bloquant la circulation ou distribuant des tracts. La liberté de la presse était elle aussi limitée par la loi et en pratique. L’Etat dominait les medias et détenait le monopole de l’édition et de la distribution.

Politiquement, le régime politique se caractérisait par une nette centralisation de l’administration.

La corruption endémique imprégnait tous les échelons du gouvernement. En 2009, l’Egypte était classée au 111e rang mondial sur 180.

Ainsi de jour en jour, le divorce s’est accentué entre la population égyptienne et ses dirigeants. Les faibles taux de participation aux scrutins démontraient le désintérêt d’une bonne partie des citoyens pour des élections souvent décrédibilisées par divers recours à la fraude, aux intimidations et aux violences.

Economiquement, le taux de chômage réel aurait atteint 30% et 44% de la population vivraient avec moins de 2 dollars par jour (seuil de pauvreté).



Chômage, manque de logements, augmentation des prix des biens de première nécessité, corruption et manque de liberté d’expression cumulés ont finalement eu raison de l’ère Moubarak.

Pronostiques pour l’après Moubarak : vers la transition démocratique ?

Malgré une certaine démilitarisation du régime, le poids de l’armée reste très présent et de nombreux postes clés de l’administration lui sont réservés. De plus, elle détient beaucoup d’entreprises agricoles, pharmaceutiques ou encore d’aménagement urbain sur l’ensemble du territoire. Les officiers bénéficient de multiples avantages tels qu’un accès facilité au logement alors que le manque d’habitat constitue un réel problème de société en Egypte.

L’après Moubarak reste ouvert à plusieurs options. Les possibilités d’évolution de l’Egypte dépendent de différents facteurs. Premièrement, la crise étatique actuelle est propice au choix d’une politique de libéralisation. Pour ouvrir la voie démocratique, le prochain gouvernement égyptien devra d’abord libérer la pression exercée sur l’opposition. Tout dépendra de la lutte entre les tenants de la ligne dure ou de la ligne douce. Ensuite, le rôle de l’armée et de la classe moyenne sera déterminant, suivant que le processus vienne d’en haut ou d’en bas. Une transition rapide par le biais de pourparlers entres élites est le chemin le plus sûr pour légitimer un régime démocratique.

Deuxièmement, le futur gouvernement devra rendre compte de sa légitimité par des élections libres et régulières. Son efficacité dépendra aussi de son indépendance vis-à-vis des soutiens extérieurs.

Troisièmement, la dynamique stratégique résultera des structures et des conditions économiques et politiques. Une nouvelle crise économie influencerait négativement le processus démocratique, les structures politiques refondées et la stabilité du pouvoir. Le futur équilibre exécutif dépendra des réformes économiques entreprises et de la force de la société civile. C’est dans la sphère publique que devra se jouer l’interaction entre organisations sociales et Etat.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011