La doctrine Brzezinski : l’arme islamiste, instrument géostratégique américain

Arc Des Crises

Comment expliquer la montée islamiste mondiale, les revendications nationalistes depuis 30 ans ? Est-elle concomitante à la politique américaine au Moyen-Orient ? Quels sont les véritables enjeux et les intérêts actuels de cette politique ? Motive-t-elle ses prises de position dans la région ?

La doctrine dominante de la politique extérieure américaine démocrate relève d’une constante depuis 30 ans : elle se réfère à la théorie de Brzezinski dont la vision reste très imprégnée de la confrontation Est-Ouest de type Guerre Froide.

Zbigniew Kazimierz Brzezinski est un politologue américain d’origine polonaise, conseiller à la sécurité nationale du Président Jimmy Carter, de 1977 à 1981. En 2008, il devient conseiller de Barack Obama candidat vainqueur à l’investiture présidentielle, pariant sur son ascendance  musulmane pour améliorer l’image des USA sur le plan international. Brzezinski compte justement sur le retour des Démocrates pour reprendre la politique extérieure pratiquée par les précédentes administrations Carter ou Clinton.

Brzezinski est un tacticien. Dans sa vision réaliste de confrontations des nouveaux blocs, dans le contexte post-Guerre Froide, l’un des objectifs de la politique extérieure américaine reste le contrôle de l’accès et de l’exploitation des gisements pétroliers. Dans la répartition géopolitique post-communiste, le cœur stratégique du nouveau monde serait le continent eurasien du fait de sa triple montée en puissance économique, politique et militaire. Aujourd’hui, l’Eurasie concentre les principales puissances émergentes comme la Chine, la Russie, l’Inde, voire l’Europe. Elle apparaît comme l’espace privilégié de la continuation de la lutte bipolaire américano-russe comme clé de voute de l’hégémonie américaine, seule capable d’assurer la stabilité mondiale. Pour les Etats-Unis, il s’agit d’y bloquer le «retour» impérialiste russe et de freiner une reconstruction politique, économique et identitaire qui risquerait de menacer ses intérêts nationaux. Dès lors, la Russie fédérale, appréhendée comme héritière de l’URSS, représente pour le leadership américain une menace potentielle. Contenir la puissance russe s’impose donc comme une nécessité vitale car depuis la Guerre Froide selon ce théoricien, l’hostilité russe est perçue comme une permanence, une sorte de fatalité historique, indépendante de son régime politique (tsariste, soviétique, fédéral). Dans l’optique américaine, le «retour» de la puissance russe est donc ressenti comme un facteur d’incertitude et, à terme, comme un catalyseur de déséquilibres géopolitiques.

L’ère post-communiste du début du XXIe siècle est ainsi marquée par la réactivation d’un conflit central entre les deux Etats américain et russe axé sur le contrôle de l’Eurasie. Dans leur opposition conceptuelle, ces entités instrumentalisent le nationalisme.

De plus, l’initiative occidentale en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) s’inscrit, de manière indirecte, dans la stratégie Brzezinski d’encerclement de la Russie et de déstabilisation de ses frontières sud en vue d’y installer un « pluralisme géopolitique » à tendance démocratique. Ce pluralisme – soumis au contrôle américain – serait préférable au monopole russe, considéré comme nuisible à l’équilibre et au développement de la région. Cette stratégie se présente comme une radicalisation de la doctrine Kennan fondée sur l’endiguement du géant russe pendant la Guerre Froide.

Grâce à la guerre russe en Afghanistan, Brzezinski a ainsi ébranlé l’empire soviétique en permettant l’émergence de l’opposition talibane. Se basant sur la théorie des ondes de choc (répercution d’une zone de crise politique par contagion géographique), Brzezinski, rêvant de vaincre l’URSS, a transformé et imaginé la phase suivante : la théorie de la « Ceinture Verte », un chapelet de pays islamiques au sud de l’URSS opposant l’islamisme au bolchévisme. Après la chute du bloc de l’Est, Brzezinski réactualise sa théorie en s’inspirant du principe de l’« arc de crise » (zone géopolitique allant de l’Egypte au Pakistan) de l’islamologue britannique juif Bernard Lewis. Il préconise une stratégie « islamiste » dans la zone d’influence russe allant de la Turquie à l’Afghanistan, proposant de «balkaniser» le Moyen-Orient musulman pour créer des mini Etats pétroliers plus faciles à contrôler que les Etats souverains à forte identité. Brzezinski reste fidèle à sa Ceinture Verte malgré la disparition de l’URSS à partir d’une offensive chrétienne depuis la Pologne (Solidarnosc en 1980). On peut supputer que la volte-face surprenante de Carter vis-à-vis du Shah d’Iran et l’abandon du soutien américain au régime impérial en 1979 n’était que l’application du plan Brzezinski qui recommande la normalisation des relations entre les Etats-Unis et le régime des mollahs iranien (sa création). Ainsi, la révolution iranienne et l’instauration de la théocratie chiite se révèlent, au vue de la théorie, être la première étape dans le processus d’émiettement du Moyen-Orient. Assurément, Brzezinski représente aux Etas-Unis la clef de voûte du lobbyisme en faveur du régime des mollahs, pensant que l’Amérique doit reconquérir le cœur des musulmans et l’amitié des Etats islamistes pour créer également un front puissant face à la Chine et à son voisinage immédiat. Récemment, évitant de parler de sanctions, Brzezinski a même déclaré qu’attaquer l’Iran serait la fin de la puissance militaire américaine dans le monde.

En résumé, Brzezinski veut normaliser les relations avec les pays islamiques et les inclure dans la stratégie asiatique des Etats-Unis contre la Chine, son nouvel ennemi. Il serait prêt à sacrifier tout le Moyen-Orient pour promouvoir son Front Islamique afin de contenir l’Empire du Milieu. La reprise des négociations avec les mollahs iraniens constitue la première phase de la réalisation de son plan.

Apparemment, une frange du parti démocrate américain ne voient pas le danger de soutenir des mouvements islamistes anti-russes dont les actions à terme peuvent se retourner contre les Etats-Unis. Israël se retrouve de ce fait un pion infiniment négligeable sur l’échiquier géopolitique.

Cette doctrine explique l’orientation de la gouvernance mondiale actuelle. La défense des intérêts  américains devient un objectif supérieur qui justifie tous les sacrifices, notamment celui d’Israël. Au vu de cette théorie politique sous-jacente qui défend une sorte de nouvelle Guerre Froide, on comprend mieux les positions défendues par les Etats-Unis au Moyen-Orient et leurs véritables motivations à long terme dans la région. De ce point de vue, les récentes demandes de l’administration Obama rentre parfaitement dans le cadre de la politique Brzezinski à savoir l’éradication de pays ne représentant pas d’intérêts vitaux ou sécuritaires pour les Etats-Unis au profit d’alliance leur assurant un contrepoids de choc face au géant russe ou chinois, véritable défi (obsessionnel ?) de la théorie Brzezinski.

Obama, semble-t-il, applique point par point le plan diabolique élaboré par ce Docteur Frankenstein. Malgré les attentats du 11 septembre – produit de cette politique islamiste – les adeptes de la théorie  Brzezinski ne paraissent pas la remettre en cause pour autant. A force de trop jouer avec le feu on finit par se brûler. Al-Qaida a déjà démontré de quoi il était capable. Quand le Golem échappe à son créateur, on ne peut que craindre le pire.

 

Israel Magazine/Noémie Grynberg 2009