Israël – Tunisie : de longues mais discrètes relations

Habib Bourguiba Jr

La plus grande discrétion dans les pourparlers entre la Tunisie et Israël se révèle un souci constant, dès les premiers contacts à New York entre Habib Bourguiba et les représentants de l’État hébreu au début des années 1950. Ceci afin de ne pas donner du grain à moudre en Tunisie et au Moyen-Orient aux rivaux de celui qui n’était encore qu’un chef nationaliste arabe. A l’époque, Bourguiba sollicite un appui israélien aux revendications nationales tunisiennes en contrepartie d’un engagement à œuvrer au sein du monde arabe pour une reconnaissance d’Israël. Mais jusqu’en 1965, Bourguiba qui collabore officieusement avec l’État hébreu, reste soucieux d’éviter toute initiative pouvant être perçue comme contraires à la position officielle de la Ligue des États arabes, dont son pays est membre.

Un mois avant la proclamation de l’indépendance tunisienne, en février 1956, Habib Bourguiba et l’ambassadeur d’Israël en France, Yaakov Tsur, se rencontrent à Paris. Le diplomate israélien conseille au futur dirigeant de demander une aide économique des États-Unis pour contrer la politique du président égyptien Gamal Abdel-Nasser dans la région.

À partir de la proclamation de l’indépendance tunisienne en mars 1956, les relations entre Israël et la Tunisie tiennent compte de leur nouvelle volonté économique en tant que pays en construction. Officiellement, les relations économiques entre les deux Etats commencent en octobre de la même année, par une rencontre à Paris entre le ministre tunisien des Finances, Hédi Nouira, et l’ambassadeur israélien en France. Mais les nombreux échanges entre responsables des deux pays ne donnent en fait pas beaucoup de fruits.

C’est également dans un cadre discret que Ahmed Ben Salah, alors dirigeant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) demande l’appui de la centrale syndicale israélienne Histadrout lors de l’organisation en Tunisie, de la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) en 1957, en contrepartie de l’acceptation par les autorités tunisiennes de la participation d’une délégation israélienne à ce congrès. Honorant sa promesse, Ben Salah invite Israël. Mais les représentants de la Histadrout, conduits par Re’uven Barkat, secrétaire général du parti Mapai, ne prennent pas part aux délibérations. Le drapeau israélien n’est pas non plus hissé aux côtés de ceux des autres pays.

En 1965, Habib Bourguiba comprend la nécessité pour les Arabes de rechercher un règlement politique avec Israël. Ainsi, il devient le premier dirigeant arabe à appeler à la reconnaissance de l’Etat hébreu par les pays arabes lors de son fameux discours prononcé à Jéricho.

La même année, Habib Bourguiba Junior, alors ministre des Affaires étrangères, fait un voyage à Washington, dont l’objectif est de solliciter une aide financière américaine. En réponse à cette requête, le département d’État demande à Israël d’intervenir auprès des gouvernements français et ouest-allemand afin qu’ils accordent à la Tunisie une aide financière estimée à 20 millions de dollars. Washington demande également à Tel-Aviv d’acheter une partie de la production vinicole tunisienne. L’Etat hébreu répond favorablement en espérant que le gouvernement tunisien encourage d’autres États arabes modérés à œuvrer en vue de faire avorter le projet d’Union arabe défendu par l’Égypte et la Syrie.

De plus, les dirigeants tunisiens issus du Parti socialiste, opposés par principe au nationalisme arabe, nassérien ou baasiste, et au communisme de type soviétique alors en vogue dans le monde arabe, sont considérés par les Israéliens comme des modérés et des progressistes ayant reçu une éducation laïque à l’occidentale. Aussi Tunis et Tel-Aviv mettent-ils en place, dès cette époque, une cellule de contact permanent par le biais de leurs ambassadeurs respectifs à Paris : le Tunisien Mohamed Masmoudi et l’Israélien Walter Eytan. À cette période, Masmoudi rencontre aussi, au moins une fois, le ministre israélien des Affaires étrangères, Abba Eban.

Cependant, les relations entre la Tunisie et Israël restent cachées. Ainsi en 1966, Alex L. Easterman, principal intermédiaire entre Israël et les pays arabes jusqu’à la fin des années 1960, doit rester cloîtré plusieurs jours dans sa chambre d’hôtel à Tunis, avant que Bourguiba ne le reçoive. Pire : dès le début de la discussion, le président tunisien demande avec beaucoup d’insistance à son hôte de s’engager à ne rien divulguer de la rencontre.

La même année, lors d’une rencontre entre Masmoudi et Easterman, le responsable tunisien sollicite l’appui économique et surtout financier de l’État hébreu mais de façon  indirecte à travers différents hommes d’affaires juifs ne possédant pas la nationalité israélienne.

Ce n’est que bien plus tard, en 1994, que la Tunisie choisit la voie de la paix et de la réconciliation et noue des relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. En 1996, Israël ouvre un bureau d’intérêt en Tunisie et la Tunisie fait de même à Tel Aviv.

Mais après le déclanchement de la seconde Intifada en septembre 2000, la Tunisie rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Certaines relations commerciales et touristiques se poursuivent néanmoins ainsi que des contacts dans d’autres domaines. Ainsi, en novembre 2005, la visite en Tunisie de Sylvain Shalom, Ministre des Affaires Etrangères lui-même originaire du pays, s’inscrit dans le cadre du Sommet mondial sur la Société de l’Information (SMSI). A ses côtés, une délégation de l’Institut israéliens des Exportations et de la Coopération Internationale, de l’association de fabricants israéliens, et des compagnies de communication de pointe l’accompagnent.

Enfin, fin septembre 2007, Tsipi Livni alors Ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Olmert, s’entretient avec son homologue tunisien au siège de l’ONU à New York bien que les deux pays n’aient pas repris de relations diplomatiques. Par cette rencontre, Israël veut tenter de créer un front uni des pays arabes modérés pour promouvoir le processus de paix dans la région.

Noémie Grynberg 2010