Tsahal et les haredim

Tsahal Haredi

En Israël, l’intégration des orthodoxes dans l’armée reste une question nationale épineuse à l’ordre du jour. Il y a deux ans, le délicat débat avait conduit à la dissolution de la 18 Knesset et lors de la précédente législature, il fut l’un des plus grands sujets de discorde.

L’exemption des haredim de l’armée date du statu quo de 1950 conclu entre Ben Gourion et l’Agoudat Israel (parti du judaïsme lituanien non sioniste). Mais avec l’évolution démographique du pays, celui-ci se voit peu à peu remis en cause. Actuellement, le nombre d’orthodoxes exemptés de tout service militaire est estimé à 60.000 ou 70.000. Pourtant, en 2012, la Cour suprême israélienne a tranché comme inconstitutionnelle la législation facilitant leur dispense.

Avant les élections de mars 2015, Benjamin Netanyahu avait promis s’il était à nouveau élu, d’adoucir la loi de conscription universelle et s’était engagé : les haredim qui ne font pas l’armée n’iront pas en prison, contrairement au texte voté lors de la dernière Knesset. Le présent gouvernement devra donc tenir parole. Pour désarmer cette bombe à retardement sociale avant qu’elle n’explose, il lui faudra négocier entre les exigences des ultra-orthodoxes à ne pas transiger à propos du statu quo d’une part et la grogne des laïcs/nationaux religieux qui s’estiment lésés d’autre part. Or, avec l’entrée de Shass dans la présente coalition, les sanctions pénales adoptées par la dernière assemblée contre les haredim qui ne s’enrôlent pas dans les Forces de défense israéliennes, risquent fort de se voir annulées, au grand damne des autres partis.

Pourtant la question du service militaire pour les ultra-orthodoxes ne peut rester en suspens. La 20e Knesset devra en débatte et trouver un arrangement entre haredim et laïcs/nationaux religieux pour décider par exemple qu’en échange de l’annulation des sanctions pénales, un mécanisme d’incitations économiques favorise l’enrôlement des ultra-orthodoxes en conformité avec les objectifs fixés par Netanyahou en 2011. C’est une des pistes envisagées pour encourager les religieux qui ne sont pas faits pour l’étude de la Torah à plein temps ou qui ne souhaitent pas lui consacrer leur vie, à s’enrôler. De cette manière, la législation pourra être appliquée.

La bataille du qui perd gagne

En 2002, une loi a été adoptée en vue d’inciter les jeunes haredim à concilier études et armée. A l’époque, la loi Tal leur accordait des facilités pour leur permettre tout en effectuant leur service militaire, de respecter un mode de vie halakhique, comme les trois prières quotidiennes, la cacherout et une relative séparation entre les hommes et les femmes. Mais l’initiative s’avère un échec. Seule une poignée d’entre eux répond aux incitations. Dix ans plus tard, ils ne sont que 2.000 ultra-orthodoxes à servir dans les rangs de Tsahal.

Alors en 2014, sous l’impulsion du parti Yesh Atid de Yair Lapid, les recommandations de la commission Péri ont préconisé l’application dans son intégralité d’une loi « pour un partage équitable du fardeau sécuritaire ». Le texte visait à se substituer à la fameuse loi Tal sur l’enrôlement des élèves des yéchivot, décision finalement invalidée l’an dernier par la Haute Cour de Justice pour son caractère discriminatoire. Dans le même temps, le monde haredi protestait violemment contre ces dispositions, organisant de grandes manifestations et donnant le mot d’ordre « la prison plutôt que l’armée ». Etonnamment, la loi obligeant la conscription orthodoxe ne l’a augmenté que de 11 % alors que l’année précédente, elle avait cru de 28 %.

Néanmoins, les choses semblent bouger doucement, loin des tempêtes politiques et médiatiques.

Entendant les revendications du monde haredi, Tsahal s’adapte de plus en plus aux nouvelles recrues. Afin d’attirer la population orthodoxe, depuis des années, elle a créé un certain nombre de programmes adaptés à son mode de vie. Dans l’armée de l’air, par exemple, les soldats reçoivent des repas glatt casher et bénéficient de temps pour prier et étudier.

À l’automne 2011, le corps d’artillerie de Tsahal a enrôlé une soixantaine d’étudiants de yéchivot dans une toute nouvelle unité combattante, la première du genre depuis la création du bataillon Nahal Haredi, il y a 16 ans. Et fin 2011, l’Etat Major de l’armée a enregistré un nombre record de soldats orthodoxes : leur chiffre a triplé. Jusque là, dans les unités de combat, il ne dépassait pas les 1.000 hommes. Depuis, ils sont 3.000. Une nouvelle brigade spéciale d’infanterie ultra-orthodoxe a même dû être créée, le « Netzer Yehouda ». A l’été 2013, 400 haredim l’ont rejointe.

Depuis 6 mois, de jeunes de yéchivot font petit à petit le choix de servir dans l’armée de leur plein gré. En novembre dernier, les données encourageantes du Département des Ressources humaines de Tsahal indiquait « qu’il y a une augmentation notable dans l’enrôlement des orthodoxes » et « qu’à côté du bataillon haredi ‘Netsah’ Yehouda’ qui existe depuis des années, les soldats orthodoxes seront affectés dans une nouvelle unité appelée ‘Tamar’ au sein de la Brigade Givati ». Ainsi, mi-décembre 2014, 30 haredim ont rejoint ses rangs. Pour eux, Tsahal a ouvert une base d’entrainement sans aucune femme.

Autre initiative : les « Défenseurs du Néguev » : nouvelle compagnie de soldats ultra-orthodoxes au sein de Tsahal. Tout a été fait pour qu’ils puissent en même temps que leur service militaire, respecter les lois de la Thora. Le but : là aussi permettre une meilleure intégration des haredim dans les rangs de l’armée. Ces combattants passent six mois de formation spéciale durant lesquels ils apprennent à organiser des patrouilles d’infanterie, des opérations ciblées et ont des cours d’arabe afin de pouvoir comprendre les populations qui vivent alentours. Parallèlement, tout au long de ce programme, ces soldats étudient avec des rabbins comme ils le feraient dans une yeshiva traditionnelle. Ils peuvent prier régulièrement au cours de la journée et disposent même d’une cuisine strictement casher.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2015