Les mutations du kibboutz : du socialisme au libéralisme ?

Seule expérience du collectivisme réussie à ce jour, le kibboutz a joué un rôle prépondérant dans l’implantation des pionniers juifs en Palestine, puis dans l’économie naissante du nouvel Etat hébreu. Mais depuis trois décennies, s’ouvrant aux accélérateurs de start-up, à l’agro-industrie ou à l’éco-tourisme, ce symbole du socialisme à l’israélienne traverse une mutation. Ce qui n’a pas échappé au Ministère des Finances qui lorgne désormais vers ces nouvelles ressources.

Dès 1910, en Palestine ottomane puis mandataire, l’option socialiste des kibboutzim, principe de base national du futur Etat juif, apparait comme une nécessité économique autant que politique afin de permettre au yeshuv de couvrir ses besoins. Ce choix répond au rêve des pionniers de fonder une société juste et égalitaire, avec l’ambition de créer un "homme nouveau". A l’indépendance du pays en 1948, les kibboutzniks représentent 7 % de la population du nouvel Etat. Le mouvement prospère économiquement et socialement surtout dans les années 1960 –1970. Les fermes développent leurs propres spécialités agricoles ou plus tard leur industrie. En 2012, les 274 communautés de production comptent 141.000 membres, soit environ 2% de la population nationale. Mais en 2014, seuls 21% d’entre elles suivent encore le modèle traditionnel. A la place, des structures nouvelles sont apparues comme les « kibboutz urbains », transplantation de l’idéal coopératif au sein de villes existantes (Jérusalem, Haïfa, Sderot, Beit Shemesh, Tel Aviv), dans lesquels les membres mènent une vie à la fois conjointe et séparée.

Les grandes mutations

L’évolution des kibboutz reflète la transformation globale de la société israélienne. A cause de la crise des années 80 et du tournant libéral de l’économie, toutes les fermes collectives se tournent progressivement vers l’industrie pour leur permettre de survivre, avec plus ou moins de réussite, explique Nir Meir, Secrétaire général du Mouvement des kibboutz unifié. Le secteur secondaire puis tertiaire devient une source de revenus importante. Mais l’ouverture du marché israélien à l’importation se révèle un coup dur pour l’industrie des kibboutz tournée exclusivement vers le marché intérieur. A partir des années 90, certaines unités de production se diversifient et optent pour le high-tech, comme le kibboutz Yizreel et Hatzerim ou encore l’immobilier et l’hôtellerie.

Les coopératives plus fragiles économiquement n’ont d’autre choix que d’opérer une mutation structurelle et deviennent des « nouveaux kibboutz » : seuls les services restent communs : outils de production, revenus, propriété des terrains mais pas de vie collective.

Ainsi, 3 types de communautés coexistent en parallèle : en 2011, 23% gardent la forme de « kibboutz coopératif » (traditionnel : style de vie communautaire et biens détenus en commun par les membres) – ce sont les unités les plus riches, 73% s’affichent comme « nouveau kibboutz » et 3% se déclarent « modèle mixte ».

Les structures modernisées et hybrides adoptent une nouvelle forme de gestion. Suivant cette évolution, une majorité de membres travaille désormais à l’extérieur du kibboutz, contribuant à la collectivité par le versement de leur revenu à la collectivité qui le leur redistribue en fonction du poste qu’ils occupent. Aujourd’hui, 60 à 70% de l’argent des coopératives proviennent de sources extérieures, indique Nir Meir. Un « salaire différentiel » est de la sorte instauré, rompant par là l’une des caractéristiques les plus remarquables des premiers kibboutzim : un budget égal pour tous les membres en fonction de leurs besoins, quel que soit leur rôle. Cependant, le principe supérieur de « solidarité mutuelle » définit par la loi est maintenu, précise Meir.

Enfin, l’« attribution d’actifs » – un système d’actionnariat – permet la conversion d’une partie des biens appartenant à la coopérative (habitation, valeurs-titres), en propriété des membres du kibboutz. Ces types d’actifs sont héritables et vendables dans certaines limites. Néanmoins, pour le Secrétaire général du Mouvement, ces changements ne signifient en aucun cas une privatisation.

Libéralisation et taxation

Au niveau fiscal, chaque kibboutz paye un impôt conjoint pour tous les membres. Mais dernièrement, l’administration israélienne entend modifier les choses.

En effet, avec le changement d’orientation des coopératives, l’imposition unique des kibboutzim est mise à l’étude depuis quelques années. En 2003 déjà, afin de tenir compte des réalités économiques, le Comité Frida Israéli propose une révision de la taxation suivant que le kibboutz choisit de se définir comme collectivité ou comme société. Or ces recommandations ne sont pas appliquées.

En juillet 2016, le gouvernement Netanyahu présente une nouvelle proposition de loi visant à supprimer le régime fiscal uniforme actuel. A la place, le Budget voudrait taxer le kibboutz traditionnel comme une seule unité et le « nouveau kibboutz » comme société dont les membres seront tenus de payer un impôt individuel de 25% sur le revenu sous certaines conditions, ainsi que l’impôt Santé de la sécurité sociale. Ce qui devrait enrichir l’Etat de près de 80$ millions par an et la sécurité sociale d’environ 50$ millions.

Mais cette suggestion soulève un tollé au sein du Mouvement des Kibboutz unifié et religieux. Nir Meir se dit d’accord pour une nouvelle fiscalité mais pas selon les préconisations du ministre des Finances Moshe Kahlon qui vise l’imposition du salaire versé par l’employeur au kibboutznik qui travaille à l’extérieur et non l’allocation reversée à ce dernier par la coopérative. Ce qui représente un revenu très différent. Pour le Secrétaire général du Mouvement des kibboutz unifié, l’erreur vient d’une perception faussée de l’évolution des fermes collectives. Elles se sont ouvertes et modernisées oui, mais privatisées non ! Et tant que cette distorsion – pas seulement sémantique – perdure, le Mouvement kibboutznik se battra pour préserver ses principes fondateurs.


Noémie Grynberg /Israel Magazine 2016