La vie en caravane

Famille

Après les manifestations sociales de l’été 2011, qu’est-ce qui a changé ? La course effrénée à la consommation, au matérialisme laisse quelques Israéliens perplexes. Prenant du recul, ils s’interrogent un jour sur le sens de la vie, sur l’avenir de leurs enfants et disent stop. Ils rêvent alors d’une autre société, plus humaine, plus solidaire, plus authentique. C’est le cas des Shalev, a priori une famille israélienne typique : 3 enfants, un travail, un logement, une voiture, un découvert bancaire. Comme tout le monde, quoi. Mais un jour, c’en est trop.

Amit, le père de famille, éprouve un sentiment de temps qui fuit, de perte de repaire. Il ne voit pas de futur. Il dit alors non à l’esclavage moderne, au cynisme politique, à l’argent roi, à la fracture sociale et cherche un moyen d’échapper à ce déterminisme. Comme l’écrit le Roi Salomon dans l’Ecclésiaste ‘’vanité des vanités, tout n’est que vanité’’.

Amit sent un besoin d’espoir, de sécurité, de joie. Alors, il prend une décision radicale : quitter sa maison, son travail, l’école des enfants et partir sur la route en caravane sans savoir précisément la destination du voyage, ni pour combien de temps. Sillonner le pays, rencontrer les gens, tous les gens. Les écouter, entendre leurs histoires, les interroger, témoigner. De cette coupure d’avec la routine, la famille Shalev aspire ainsi à ré-apprivoiser le temps, les liens familiaux, l’essentiel.

Cette aventure, Amit ne veut pas la vivre seul. Il souhaite la partager avec les internautes qui pourront suivre l’expérience filmée par toile interposée. Une façon de s’interroger sur ses propres valeurs. Il inviter ses compatriotes à le rejoindre, à se solidariser pour retrouver ensemble le chemin perdu d’une vie plus sincère.

Peu avant Pessah, c’est le départ. Il faut vider et nettoyer la maison. Ca tombe bien en ce début de printemps. Amit emprunte à un ami une caravane dans laquelle toute la famille vivra le temps du périple. Yael, la mère, réalise alors que 5 personnes devront vivre, dormir, manger dans l’espace d’une cuisine. Pas évident. Pour s’habituer graduellement à cohabiter en mode nomade, la famille choisit de commencer l’expérience par la plage de Mihmoret, mochav au nord de Netanya, sur la côte méditerranéenne. Les enfants s’habituent vite à la vie itinérante. Yael réfléchit donc au sens de l’éducation hors cadre fixe et de l’apprentissage informel.

Le début d’une odyssée de 5 mois à travers le pays, du nord au sud commence. En route vers le kibboutz Beth Nir, près de Kiryat Gat. Puis arrêt dans l’implantation de Bat Hayin, communauté religieuse rurale, au sud de Jérusalem. Ensuite, cap sur Ashkelon.

A Sederot, Amit rencontre le monde du chômage, de la crise économique qui menace, de la périphérie oubliée du gouvernement.

Direction Ein Hashlosha, kibboutz agricole non privatisé dans l’ouest du Néguev, à la frontière de Gaza. A Rahat, les Shalev bavardent avec une famille bédouine. A Beersheba, Amit s’entretient  avec les handicapés du Shounat Dalet.

Etape à Mashavé Sadé, nouvelle implantation d’une dizaine de familles religieuses et laïques.

Arrêt à Revivim, kibboutz agricole du Néguev, à environ une demi-heure au sud de Beersheba.

La famille Shalev arrive à Netivot pour Lag Baomer et participe à la Hiloula de Rabbi Shimon bar Yohaï. Dans cette ville de développement en difficulté économique et sociale, nos voyageurs infatigables découvrent les habitants du sud, ouverts, conciliants malgré leurs problèmes et leurs déceptions.

En avant vers l’implantation de Tsoukim dans la Arava ; Shavta, ville nabatéenne, sur l’ancienne route des parfums, au milieu du désert ; Azouz, village de 15 familles en plein Néguev, dont la majorité vit du tourisme et de l’agriculture ; Mitspé Ramon et son magnifique cratère ; Yeruham, ville à taille humaine, riche en associations diverses, initiatives et activités socioéducatives ; Eilat, à l’extrême sud d’Israël ; le Kibboutz Ein Gedi, sur la rive occidentale de la mer Morte et son magnifique jardin botanique ; Havat Maon au sud de Hébron, cité des patriarches en Judée ; Kiriat Arba ; Abou Gosh ; Kiriat Malachi, triste ville de développement délaissée du Néguev ; le Carmel, montagne côtière surplombant la Méditerranée ; Tibériade, capitale de la Galilée et sa chaleur humide et étouffante en plein été ; enfin le Golan et son haut plateau.

Durant cette longue tournée à la découverte du pays, de ses paysages, de sa nature, de ses habitants, la famille Shalev a côtoyé tout l’éventail de la population israélienne : kibboutznikim, mitnahalim, artistes, académiques, idéalistes, religieux, gauchistes, réfugiés, militaires, arabes. Bref, une société variée, dynamique, imaginative, perspicace dont on peut être fier. Un facteur humain qui représente la vraie richesse d’Israël, loin de ses gouvernants technocrates, des citoyens bons, ouverts, empathiques, aidants, courageux, travailleurs, sionistes, tolérants, engagés, actifs.

Le voyage entrepris en vue d’un changement personnel et social a abouti en fin de compte à lier tous les fragments de la société israélienne en une grande fraternité.

La famille itinérante a acquis d’innombrables enseignements existentiels, humains, collectifs, éducatifs. Les Shalev se sont également rapprochés des valeurs juives, permettant de relativiser et de se distancer par rapport à la vie modernes et aux valeurs consuméristes.

Cette renaissance à soi face à l’imprévu d’une vie non programmée a débouché sur beaucoup de questionnements philosophiques.

Et c’est justement là tout le sens de la fête de Souccot : l’indifférence au confort matériel, la rupture avec le tangible, la fragilité des projets personnels par rapport à l’aléatoire, le retour à la nature, la célébration de l’universel, l’élévation spirituelle, l’union des différences humaines. Souccot fête la valeur de chaque maison d’Israël au sens propre comme au figuré. Elle rappelle surtout que le bonheur ne tient pas dans l’« avoir » mais plutôt dans l’« être ».

Noémie Grynberg 2012