Thomas d’Aquin et le statut des Juifs en Europe médiévale

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Thomas d’Aquin, né en Italie, est un théologien chrétien du XIII ème siècle. Sa particularité est d’avoir réconcilié la pensée religieuse et la pensée grecque classique en fondant la scolastique. Sa théorie est une synthèse entre christianisme et aristotélisme, entre théologie et philosophie. A l’origine de l’orthodoxie catholique, Thomas d’Aquin sera canonisé un demi siècle après sa mort.

Après la huitième et dernière Croisade, l’époque médiévale du XIII ème siècle consacre l’apogée de l’Eglise. Parallèlement, cette dernière impose un raidissement dans les rapports entre Chrétiens et Juifs. Les facteurs de l’aggravation sont multiples : transformations sociales importantes dues au développement de l’économie et du commerce international à une échelle inconnue jusqu’alors, européanisation des échanges, renaissance des villes dont l’accroissement a pour résultat le renforcement des oppositions sociales. Les spécialistes du négoce constatent une accélération dans les échanges de monnaie et de crédit.

C’est pendant cette période qu’un théologien et philosophe dominicain, considéré comme l’un des principaux maîtres de la scolastique et de la religion catholique, Thomas d’Aquin, va introduire la pensée d’Aristote au sein de l’Eglise. Selon lui, l’étude philosophique, aussi poussée soit-elle, ne contredit pas l’enseignement de la religion, les deux ayant un même objet : la recherche de la vérité.

Parmi les écrits religieux de Thomas d’Aquin, notamment dans La Somme Théologique, il consacre plusieurs articles aux problèmes des infidèles dont les Juifs, vivant en royaume chrétien.

Selon Thomas d’Aquin, les Juifs ne sont pas des citoyens car seuls les Chrétiens peuvent l’être. Mais il distingue les Juifs des païens. D’après lui, les Juifs ont reçu la foi quoiqu’ils l’interprètent mal. Il n’est donc pas nécessaire de les contraindre à croire. Par conséquent, ils ne sont pas hérétiques puisqu’ils ne s’opposent pas à la foi. Cependant, cela n’amoindrit pas leur condition d’infidélité par rapport à la nouvelle religion. On ne peut forcer les Juifs à adhérer au christianisme car l’acte de foi doit être libre. De même qu’on ne peut baptiser les enfants contre la volonté de leurs parents car selon le droit naturel les jeunes sont sous la tutelle de leurs géniteurs. Les rites des Juifs sont tolérés parce que la pratique de leur culte témoigne de la vérité du christianisme.

Thomas d’Aquin ne soumet pas les Juifs à des contraintes physiques ou à la peine de mort sauf s’ils entravent la foi chrétienne par des blasphèmes ou des persécutions. Par contre, fidèle aux positions des IIIème et IVème Conciles de Latran (assemblées d’évêques pour les questions de doctrine, tenues à Rome en1179 et 1215), il préconise pour les Juifs le port d’un insigne distinctif ou un costume spécial (différent dans chaque pays) afin d’être facilement identifiés et évités par les Chrétiens pour empêcher les unions mixtes. Le IIIème Concile défend aux Juifs de détenir chez eux des esclaves chrétiens sous quelque prétexte que ce soit. On permet néanmoins aux Juifs de témoigner contre les Chrétiens, et les Chrétiens contre les Juifs. Concernant  les Juifs convertis, la validité de leurs témoignages au cours d’un procès reste entière. Ils sont également confirmés dans leurs biens avec défense d’y toucher, sous peine d’excommunication, au même titre que les autres Chrétiens.

Le concile de Latran IV est plus radical. Il impose des mesures de discrimination redoutables qui présagent des lois futures : il prescrit d’éviter tout rapport entre Juifs et Chrétiens. Mariages mixtes, cohabitation, convivialité sont prohibés. Les Juifs ont l’interdiction de sortir pendant la semaine sainte, les jours saints et le dimanche de la Passion.

On interdit aux Juifs convertis de continuer à judaïser en secret et de « faire un mélange du christianisme avec le judaïsme, qui ne serait propre qu’à ternir la beauté de la religion chrétienne ». Il est interdit aux servantes chrétiennes d’entrer au service de Juifs afin de leur éviter de succomber à l’influence spirituelle d’un employeur juif.

Les Juifs sont condamnés à la servitude perpétuelle, conséquence du crime de la crucifixion. Thomas d’Aquin reprend cette idée : « Leurs biens ne leur appartiennent pas, pas plus que les esclaves n’ont le droit de propriété. » Simplement, le roi ne devra pas les dépouiller totalement de tout moyen d’existence. Enfin, l’accent mis sur la répression contre les Juifs laisse présager l’Inquisition.

Considérés comme déicides et ennemis de la foi chrétienne, les Juifs sont les ennemis de l’ordre social. Leur accès aux fonctions publiques, aux professions libérales et à la propriété immobilière est interdit. Rigoriste, le théologien Thomas d’Aquin rappelle l’interdiction du prêt à usure pour les Chrétiens qui n’ont pas le droit d’emprunter l’argent qui provient de cette pratique. C’est comme s’ils utilisaient l’argent provenant d’un voleur ou d’un simoniaque, considéré comme un péché. L’activité économique des Juifs est donc limitée au commerce et aux prêts avec intérêts interdits aux Chrétiens. Cependant, les Juifs ne sont pas les plus riches manieurs d’argent. Les banques les plus opulentes sont italiennes. Les Juifs vont se cantonner au petit commerce de l’argent, le moins glorieux, le plus risqué et le plus impopulaire : le prêt sur gage, le prêt à la petite semaine. Les taux augmentent avec le risque encouru par le banquier, les taux usuraires atteignent parfois les 70 ou 80%.

Ainsi, les Juifs sont assimilés à l’usure, au vol. Thomas d’Aquin affirme qu’il est donc juste de les taxer pour les contraindre à rembourser l’argent volé aux Chrétiens par l’usure. Il faut aussi les obliger à payer la dîme et les offrandes sur les maisons qu’ils ont acquises, de telle sorte que les églises chrétiennes n’en soient pas lésées.

Les docteurs de l’Eglise, dont Thomas d’Aquin, ont bien pris soin de donner aux Juifs un statut d’infériorité discriminatoire et humiliant afin de pouvoir se proclamer ‘’Verus Israël’’.

Israel Magazine / Noémie Grynberg 2006