Les descendants juifs de Hitler, Himmler, Goering et Goebbels

Nazis

En 2006 parait dans la presse israélienne un article annonçant que le petit-fils du neveu d’Hitler étudie dans une Yeshiva à Jérusalem. La nouvelle fait grand bruit. Elle interpelle : existe-t-il d’autres descendants de hauts dignitaires nazis vivant en Israël ou convertis au judaïsme ? Ce phénomène est-il marginal ou dénote-t-il une démarche plus vaste ? Et surtout, pour quelle raison ?

Il est des sujets particulièrement sensibles. Par exemple, comment expliquer que la petite-fille de Magda Goebbels, femme de Joseph Goebbels, Ministre de la Propagande sous le Troisième Reich, se soit convertie au judaïsme de même que Katherine Himmler, petite nièce d’Heinrich Himmler, chef suprême des SS, qui a épousé un juif israélien ? Excentricité ou banalité ? C’est ce que tentent de découvrir Marie-Pierre Raimbault et Michael Grynszpan, auteurs et réalisateurs du documentaire ‘’L’héritage infernal – descendants de nazis’’, diffusé en septembre dernier sur France 3.

Comment convaincre des descendants de hauts dignitaires nazis convertis au judaïsme ou ayant un lien avec Israël de témoigner dans ce film ? Certains refusent de parler ou d’être interviewés. C’est le cas notamment, en Allemagne, de la petite-fille de Magda Goebbels qui s’est rétractée au dernier moment. Pourquoi ? La question reste sans réponse.

D’autres, plus anonymes ou simples Allemands non juifs voulant soutenir Israël, acceptent finalement de témoigner. Tel est Yoram Saam, fils unique de nazi, dont la quête de racines et de foi l’a conduit en Galilée, il y a 30 ans. Ou encore Mathias Goering, petit-fils d’Herman Göring, numéro 2 du parti nazi, et responsable de la solution finale. Tout comme Gunther Gottschalk (non converti), fils de soldat de la Wehrmacht, ayant quitté son pays natal pour s’installer près de Tibériade.

Descendants de nazis vivant en Israël ou convertis au judaïsme, voilà effectivement qui pose question. Des centaines d’Allemands ont choisi de réparer, d’aider, de soutenir l’Etat juif. Répondent-ils au problème de la responsabilité, à une quête identitaire (changer de nationalité, de nom, de pays, de peuple, de langue, de religion) ? En tout cas, ces écorchés vifs font preuve d’une authentique exigence morale pour transcender le passé criminel de leurs aînés.

Chaque histoire est unique et raconte l’humanité d’une individualité. Chaque témoignage exprime une facette d’un parcours personnel qui représente autant de pépites, d’étincelles selon la Kabbale. Matthias Göring, qui vit désormais en Suisse, s’interroge sur son ‘’infernal héritage’’, sa responsabilité. Pourquoi est-il né dans cette famille ? Quel besoin comble-t-il dans son cheminement vers le judaïsme ? Une révélation mystique l’a mis sur le chemin du judaïsme et de la Tora. Il effectue régulièrement des voyages en Israël et pense se convertir d’ici 3 ans maximum. Selon lui, la voie vers la Tora reste indépendante du passé. Ils représentent deux choses différentes car la Tora répond seulement aux questions théologiques. Allant au bout de sa démarche, à Jérusalem, Matthias Göring rencontre même un survivant de la Shoah et se lie avec lui d’une profonde amitié. Emouvant face à face entre descendant de bourreau et rescapé.

Autre exemple, celui de Raheli Saam, fille de Yoram et petite-fille d’ancien nazi non-repenti encore en vie. Elle pose à son grand-père allemand, pour la première fois face à la caméra, les questions cruciales concernant son passé. Pour cet Allemand, ‘’la guerre c’est la guerre, il y aura toujours des morts et ceux qui sont responsables sont ceux qui disent l’être’’. L’attitude sans regret ni compassion du vieil homme est douloureuse pour cette jeune fille partagée entre son identité juive israélienne et son héritage familial nazi. Raheli, appartenant à la fois au camp des bourreaux et à celui des victimes.

Ce lien avec l’Etat hébreu se poursuit jusqu’à la 3e génération. De jeunes Allemands viennent y effectuer un travail de mémoire par le biais du volontariat auprès de survivants de la Shoah. Ceux-là même qui ont échappé à la barbarie des grands-parents de ces bénévoles d’aujourd’hui. De la sorte, ces jeunes tentent de résoudre leur histoire : comment être fier d’être Allemand de nos jours ?

Aux yeux des rabbins, citant le Talmud, les comportements de ces descendants de nazis ne semblent pas surprenants : « Des descendants d’Aman, lui-même descendant d’Amalek, archétype du Mal absolu, se sont associés à Israël ». C’est donc un « phénomène connu » dans le judaïsme. Il est appelé ‘’réparation’’ (tikoun en hébreu). Il vise au perfectionnement du monde. Dans ce cas, la conversion équivaut à une renaissance, au renoncement au déterministe, à la prise de conscience de sa propre liberté de choix. La notion de culpabilité appartient davantage à la sphère du christianisme.

En tout cas, tous les convertis, sans exception, affirment la même chose : leur conversion n’a aucun lien avec la Shoah. Est-ce un déni, une réalité ? Comment savoir ? Les pistes sont diverses, psychologique ou mystique.

Les récits bouleversants provoquent incrédulité et fascination à la fois. Le sujet pose en lui-même de nombreuses questions, au-delà de la conversion, du fait juif. Il interroge sur la responsabilité, la culpabilité, le pardon, la repentance. Le film touche par la simplicité humaine, par le parcours intérieur d’individus renonçant au déterminisme, par ses personnages attachants qui posent des questions universelles. Il montre aussi une autre image d’Israël et du judaïsme : celle de la bienveillance, de l’acceptation de l’autre, de l’altruisme, de l’ouverture, de la réflexion identitaire et historique.

Ainsi, le cheminement de ces convertis reste complexe. Il n’est pas simplement manichéen. C’est ce qu’entreprend de montrer ce documentaire tout en subtilités. Selon les propres mots de Michael Grynszpan : ‘’ce qui est essentiel est ce sentiment de culpabilité de l’Allemagne et des dégâts "collatéraux" qu’Hitler et comparses ont laissé en héritage à leurs enfants.’’

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011