Les 50 ans de Vatican II – réelle révolution ou lente régression ?

Vatican Ii

En 2012, l’Eglise s’apprête à célébrer le jubilée du Concile Vatican II qui réhabilita le Peuple Juif dans sa mission d’élection et le déculpabilisa de la mort de Jésus en donnant au dialogue interconfessionnel une priorité croissante. Grâce à l’historien Jules Isaac, à l’ « enseignement du mépris » si longtemps professé se substituera l’enseignement de l’estime mutuelle. Marquer le 50e anniversaire du Concile, c’est donc essayer de comprendre comment l’Eglise a vécu cette nouvelle étape de son développement. Concrètement, dans quelle mesure a-t-il, depuis un demi siècle, intégré l’existence chrétienne quotidienne ?

Au commencement, la Shoah joua un rôle essentiel dans le dessillement progressif du regard catholique sur le judaïsme. A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale et de la position ambigüe de l’Eglise vis-à-vis des nazis, une prise de conscience de la responsabilité chrétienne émergea devant l’horreur de l’extermination de 6 millions de Juifs. Après l’Holocauste, une reconsidération théologique impliqua une révision de la doctrine chrétienne elle-même. C’est dans cette perspective que le pape Jean XXIII (1958-1963) inaugura la longue marche vers la reconnaissance du Peuple Juif. L’étape décisive du Concile Vatican II (1962-1965) marqua le début d’un réexamen profond des relations entre les deux monothéismes et d’un regard nouveau sur la synagogue.

La réforme Vatican II s’appuie sur trois notions-clé : premièrement, l’événement chrétien n’invalide pas la foi d’Israël, à savoir l’Église n’a plus pour mission de convertir les Juifs. Depuis, la formule «le dialogue sans mission» caractérise les relations entre les deux confessions et contraste avec la pratique séculaire de «la mission sans dialogue» et celle de la «mission avec dialogue». Pourtant, si le christianisme n’encourage plus le prosélytisme envers les Juifs, il ne le déclare pas non plus théologiquement mort.

Deuxièmement, le christianisme ne représente plus l’accomplissement du judaïsme comme il était de tradition de le prétendre. Ce faisant, cette nouvelle conception sape le fondement de la théologie chrétienne classique de la substitution des Chrétiens aux Juifs dans l’Alliance, qui procédait de l’accusation de déicide.

Enfin, le christianisme voit réincorporé les dimensions de sa matrice juive dans l’expression contemporaine de sa foi. Le Concile Vatican II proclame dans Nostra Aetate (1965), que l’Église «a un lien spirituel avec la lignée d’Abraham». Le futur pape Jean Paul II, partie prenante de l’assemblée conciliaire qualifiera même les Juifs de « peuple de l’Ancienne Alliance de Dieu jamais révoquée ». Ce qui indique que l’Église entretient une relation spirituelle avec le judaïsme qui existe encore aujourd’hui, même si les Juifs rejettent l’Évangile chrétien. En conséquence, le Concile préconise de lire les Écritures dans la perspective des auteurs bibliques et de porter attention aux commentaires et aux traductions liturgiques des textes hébreux. Une telle lecture jette une lumière neuve sur la tradition de l’Église qui interprétait jusqu’alors l’herméneutique sous un angle antisémite et l’utilisait pour justifier la mission auprès des Juifs. Dorénavant, l’exégèse s’efforcera de mieux comprendre ce qui, dans l’Ancien Testament, garde une valeur propre et perpétuelle, non oblitérée par l’interprétation ultérieure. Au point de vue liturgique, la réforme rappelle les liens existant entre les deux cultes et met les chrétiens de plus en plus fréquemment en contact avec les textes de la Tora.

Ainsi, Vatican II ne «pardonne» pas seulement aux Juifs le prétendu crime de déicide, il les en exonère. Enfin, après des siècles de haine, le pontificat affranchit les Hébreux de toute responsabilité dans la crucifixion de Jésus. Le nouveau texte conciliaire proclame “qu’on ne peut charger les Juifs de notre temps ni tous ceux ayant vécu à l’époque des évènements de la souffrance du Christ”. Pour Rome, la Maison de Jacob semble désormais considérée comme une partie intégrante de l’Alliance avec Dieu.

En 1970, les réformes du Pape Paul VI portèrent également sur la prière du Vendredi Saint. Les termes « Prions aussi pour les Juifs perfides afin que Dieu Notre Seigneur enlève le voile qui couvre leurs cœurs et qu’eux aussi reconnaissent Jésus, le Christ, Notre-Seigneur » à fort relents antisémites ne réapparaissent pas dans la nouvelle version. Les allusions à la conversion des Enfants d’Israël, qui étaient présentes dans l’oraison, sont également supprimées. Paul VI la reformula : « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier : qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité de son Alliance. »

Pourtant, en 2008, le très conservateur Pape actuel, Benoît XVI, revient sur la nouvelle formulation de la prière du Vendredi Saint et la remplace par « Prions aussi pour les Juifs. Que notre Dieu et Seigneur illumine leurs cœurs, pour qu’ils reconnaissent Jésus Christ comme sauveur de tous les hommes. – […] -Dieu éternel et tout-puissant, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, accorde, dans ta bonté, que, la plénitude des nations étant entrée dans ton Église, tout Israël soit sauvé. ». Cette prière pour que les Juifs reconnaissent Jésus sonne-t-elle le glas du dialogue ? Pour plusieurs commentateurs, cette dernière version conserve l’ancienne intention traditionnelle de la conversion des Juifs au christianisme. Ils y voient une situation dans laquelle l’Église semble tenir deux discours difficilement compatibles. Lequel représente la doctrine catholique authentique concernant le peuple juif aujourd’hui ?

Apparemment, la reconsidération théologique du judaïsme engagée par Vatican II ne semble pas encore totalement assumée ni très complète. D’ailleurs, l’adoption du Concile ne fait pas l’unanimité au sein de l’Eglise. Les courants traditionalistes et fondamentalistes y restent très hostiles et y voient une trahison de Rome à l’égard de la vérité de la mission chrétienne.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2012