Léopold Godowsky Jr, quand un virtuose du violon devient un magicien de la couleur

Fils de Léopold Godowsky, musicien juif de renom d’origine lithuanienne, Léopold Godowsky Jr, violoniste, chimiste et inventeur, possède plus d’une corde à son archet. Bien qu’au départ la photographie ne fut qu’un passe-temps, il est devenu célèbre pour avoir été un pionnier dans le développement du film couleur. Sa découverte du procédé de la synthèse soustractive s’est révélée capitale pour des millions de photographes amateurs comme professionnels.

Né à Chicago en 1900, Léopold Godowsky Jr passe la plupart de sa jeunesse à Berlin et à Viennes où son père musicien reconnu a été nommé. A 16 ans, de retour aux Etats-Unis dans l’Etat du Connecticut, Godowsky rencontre à l’école Leopold Mannes, fils d’un autre violoniste juif, David Mannes. Tous deux se lient d’amitié et partagent leur amour de la musique (Mannes est pianiste et Godowsky violoniste) en même temps que leur fascination pour la photographie.

En 1917, Godowsky s’inscrit à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) pour étudier la physique et la chimie. Parallèlement, il joue comme premier violon dans l’Orchestre Symphonique de San Francisco ainsi que dans le Philharmonique de Los Angeles.

Dès 1919, pendant leur temps libre les deux amis cherchent avidement un moyen de prendre des clichés en couleur en étudiant et expérimentant plusieurs techniques dans l’espoir de produire une pellicule couleur. A la grande gêne de leurs parents, Mannes et Godowsky travaillent dans leur cuisine et salle de bain transformées en laboratoires et en chambres noires, souvent dans l’obscurité totale. Pour mesurer les temps de développement nécessaires des films, en bons musiciens, ils sifflent le dernier mouvement de la 1ère Symphonie de Brahms au rythme métronomique de deux battements par seconde.

En 1922, Godowsky abandonne son emploi dans l’orchestre de Californie et retourne à New York où il s’inscrit en mathématique à l’Université Columbia. Parallèlement, toujours avec Mannes, il ouvre son premier vrai laboratoire photo indépendant.

Finalement, les deux compères conçoivent une plaque à double couche sur laquelle une partie du spectre lumineux peut être photographié. En 1923, les deux chercheurs déposent leurs 1ers brevets. Ils devancent ainsi les procédés de Kodak et d’Agfa. Grandement intéressés par leur découverte, les laboratoires Eastman Kodak recrutent Mannes et Godowsky qui s’installent à Rochester, dans l’Etat de New York. Là, les deux amis confectionnent une camera à 3 lentilles et 3 filtres, une pour chaque couleur primaire (magenta, cyan et jaune) afin de les superposer sur une plaque unique. C’est le principe de la synthèse soustractive. Ils réussissent en 1935 à développer une pellicule tricolore destinée au cinématographe et poursuivent peu après avec un procédé pour photographies. C’est le fameux Kodachrome, pellicule inversible qui enregistre la lumière dans son émulsion directement en positif, c’est-à-dire sans inversion des couleurs (contrairement à un film négatif). C’est le principe de la diapositive ou ekta dont l’image peut être ainsi observée directement, soit sur une table lumineuse, soit par projection.

La spécificité du Kodachrome est qu’ il n’y a pas de colorants dans le film lui-même. Ils sont ajoutés séparément pour chaque couleur au développement. Ainsi, le Kodachrome est facile à fabriquer : trois couches de film standard noir et blanc, chacune sensible à une couleur différente. Mais il nécessite de multiples étapes de traitement et un contrôle précis pour ajouter la couleur à travers un processus de ré-exposition. Le résultat est qu’une plus grande quantité de colorant est transférable à la pellicule et ainsi les couleurs ont tendance à être mieux saturées et les grains plus fins que dans les films avec colorants intégrés. Les images Kodachrome possèdent des noirs très riches et leur contraste est inhabituellement élevé. De plus, ce procédé se révèle plus stable dans le temps – bien conservées, les clichés Kodachrome ne se décolorent pas et peuvent perdurer de très nombreuses années, plus longtemps que d’autres types de transparence et que les films négatifs couleurs.

Avant le Kodachrome, les techniques couleurs étaient trop compliquées et coûteuses. Mais la nouvelle pellicule devient facile d’utilisation et d’une qualité exceptionnelle autant pour les amateurs que pour les professionnels qui embrassent rapidement cette nouvelle technologie. La production du Kodachrome s’avère un succès commercial mondial. Cette pellicule déclenche une révolution culturelle et artistique.

En 1938, Mannes et Godowsky, aidés d’une équipe de chercheurs d’Eastman Kodak et de leur soutien financier, initient une nouvelle étude pour les films Kodacolor, Ektacolor et Ektachrome. Mais en 1939, ils quittent Rochester. Godowsky construit son propre laboratoire à Westport dans le Connecticut pour ses futures expérimentations. Jusque dans les années 1950, il y poursuit des recherches pour l’amélioration du procédé Kodak. Pour ses découvertes, Godowsky a reçu de nombreux prix.

En plus de son succès comme inventeur, Godowsky poursuit le violon – sa grande passion dans la vie – en jouant notamment de la musique de chambre, souvent avec les plus illustres musiciens de son temps comme Heifetz, Primrose, Feuermann, et Piatigorsky. Il se marie à Frances, la fille du célèbre compositeur juif américain Georges Gueshwin. Il décède le 18 février 1983.

En 2005, aux Etats-Unis, Mannes et Godowsky ont été intronisés dans le fameux ‘’Hall de la renommée’’ des inventeurs américains.

Mais en juin 2009, une page d’histoire de la photographie se tourne. Le géant Kodak annonce l’arrêt de la commercialisation du Kodachrome, la première pellicule inversible destinée au grand public qui a révolutionné l’image couleur et sublimé le cinéma. Soixante quatorze ans après sa découverte, l’épopée mondiale du procédé soustractif ne subsiste plus aujourd’hui que pour les films 35mm et les grands formats cinéma.


Israel Magazine / Noémie Grynberg 2009