Erwin Blumenfeld : le dadaïste de la mode

Erwin Blumenfeld, américain d’origine allemande, est l’un des plus grands et des plus influents photographes de la première moitié du XXe siècle. L’œuvre protéiforme de l’artiste aura marqué son temps par la richesse et la diversité de ses recherches formelles dans les différents arts visuels pratiqués : dessins, prises de vues, collages, montages. En 2014, une exposition des ses créations au Jeu de Paume à Paris lui a rendu hommage.

De 1930 à 1950, Erwin Blumenfeld, considéré comme un expérimentateur et un innovateur pictural, s’est fait un nom grâce aux couvertures de magazines de mode tels que «Vogue» et «Harper Bazaar». Pourtant, dans ses premiers portraits artistiques s’invite déjà le thème de l’aliénation. Mais ses images les plus acclamées s’avèrent celles qui ont cherché à déshumaniser Adolf Hitler. Sa photo la plus célèbre, réalisée le soir de l’accession du Führer au pouvoir, reste celle d’un montage le montrant la peau fondante et le crâne apparent. En 1943, les Américains se sont d’ailleurs servis de ce cliché comme tract de propagande jetés au dessus de l’Allemagne en plusieurs milliers d’exemplaires.

Vers un nouvel esthétisme photographique

A Berlin en  1913, Erwin Blumenfeld, âgé de 16 ans, obtient son diplôme de fin d’études secondaires avant de trouver du travail dans un magasin de mode féminine. De 1916 à 1918, en pleine Première guerre mondiale, le jeune homme est enrôlé comme ambulancier dans l’armée allemande. Suite à la mort son jeune frère de 18 ans au champ d’honneur, Blumenfeld quitte son pays natal pour la Hollande. A Amsterdam, il participe au mouvement culturel et intellectuel contestataire et cofonde la Centrale Dada où il se livre au collage d’images et au photomontage, parallèlement à la peinture et à l’écriture d’essais poétiques et des nouvelles sous le pseudonyme de Jan Bloomfield. De 1922 à 1935, pour vivre, il devient tour à tour libraire, marchand d’art et exploitant d’une maroquinerie. Durant cette période, il pratique aussi en amateur la photographie expérimentale. En 1935, ses œuvres sont publiées dans Photographie et exposées à l’École d’Art nouveau d’Amsterdam.

Lorsqu’en 1936 son commerce fait faillite, Erwin Blumenfeld quitte la Hollande et s’installe à Paris comme photographe professionnel. Il fréquente alors le Montparnasse des artistes. Il ne tarde pas à recevoir des commandes de portraits, de photographies de mode et publicitaires. Peu à peu le corps féminin devient le sujet principal d’Erwin Blumenfeld qui se consacre au nu. Sa première exposition à Paris laisse entrevoir sa créativité anticonformiste qui va bousculer les codes de la photographie de mode en noir et blanc. La publication de ses portraits surréalistes et de ses clichés expérimentaux dans les magazines Verve et Minotaure lui vaut d’être entouré d’admirateurs influents.

En 1938 paraissent ses premiers tirages pour Vogue. L’année suivante, le créateur effectue son premier voyage aux Etats Unis où il signe un contrat avec le fameux magazine Harper’s Bazaar. En 1940, de retour en France, Blumenfeld est emprisonné en tant qu’Allemand dans les camps d’internement de Montbard-Marmagne, de Vernet d’Ariège et de Catus dans le Lot. À sa libération en 1941, l’artiste juif fuit l’Europe nazie et émigre aux Etats Unis où il poursuit sa carrière de photographe. En 1943, il ouvre son propre studio à New York. Le succès arrive rapidement. Erwin Blumenfeld devient très recherché dans le domaine la publicité. Ainsi, dans le monde de la mode, il passe pour l’un des photographes les mieux payés et les plus influents du XXe siècle. Il travaille en indépendant pour de grandes revues comme Life, Look ou Cosmopolitan.

En 1955, l’artiste commence à écrire son autobiographie. Mais en 1964, Erwin Blumenfeld subit son premier infarctus. Cinq ans plus tard, une seconde crise cardiaque lui sera fatale. Le 4 juillet 1969, il décède à Rome. Ce n’est qu’en 1975, que la traduction française de sa biographie sortira sous le titre « Jadis et Daguerre ». Et en 1976, la version originale en allemand intitulée « Durch tausendjàhrige Zeit » sera publiée.

Une œuvre magistrale à (re)découvrir

Longtemps, le côté sombre et expérimental d’Erwin Blumenfeld l’a positionné comme l’un des photographes les plus sous-évaluée du XXe siècle. Pourtant, sa vie et son œuvre traduisent l’évolution sociopolitique et artistique de l’entre-deux-guerres, tout en mettant en lumière l’incidence de l’émigration sur le cours d’une vie. Tout au long de ses 35 années de carrière, l’artiste a produit un vaste corpus de modèles en noir et blanc, de portraits de célébrités, de nus féminins abstraits, de campagnes publicitaires et de grands noms de la mode. Pour l’auteur, l’image photographique a toujours été le résultat de recherches, d’audaces techniques et de procédés expérimentaux. D’ailleurs, dès que les conditions techniques le lui ont permis, Erwin Blumenfeld a utilisé la couleur avec enthousiasme, dans laquelle il a transposé ses expériences en noir et blanc, développant un répertoire de formes particulièrement original. Dans son iconographie couleur, l’esthète a cherché à faire apparaître la nature inconnue et cachée de ses sujets, l’objet de sa quête n’étant pas le réalisme mais le mystère de la réalité.

Pour (re)découvrir cet artiste multiple et engagé, jusqu’au 26 janvier 2014 à Paris, l’exposition du Jeu de Paume se consacre aux multiples facettes du photographe, rassemblant ses différentes œuvres visuelles réalisées depuis la fin des années 1910 jusqu’aux années 1960. Sept thèmes y sont abordés : "autoportraits", "dessins, montages et collages", "nus", "portraits", "mode", "le dictateur" et "architecture". Les prises de vues expérimentales en noir et blanc, aujourd’hui devenues classiques, y côtoient les nombreuses figures de personnalités connues ou inconnues, ainsi que des images publicitaires, de magistraux clichés couleur créés à New York et des vues urbaines réalisées à la fin de sa vie. A voir ou à revoir pour la beauté de l’art.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2013