David Galula : le stratège militaire de la contre-insurrection

Nul n’est prophète en son pays : l’histoire de David Galula le confirme. Officier tombé dans l’oubli en France, il est étudié dans les académies militaires américaines et ses théories sont appliquées par les GI en Irak et en Afghanistan.

David Galula est né en 1919 à Sfax en Tunisie. Il obtient son baccalauréat à Casablanca. Il entre à l’académie militaire Saint-Cyr en France, en 1939. Mais comme l’ensemble de sa promotion, il est projeté dans la guerre au bout de quelques mois. Rappelé à Aix-en-Provence après l’Armistice de juin 1940 pour y achever sa formation, il est radié des cadres en 1941, victime des premières lois contre les Juifs. Il rejoint alors l’Afrique du Nord et reprend du service en 1943. Il est blessé lors des combats de l’Île d’Elbe. Il participe à la libération de la France et à la campagne d’Allemagne.

Entre 1945 et la fin des années 50, Galula a l’occasion de vivre quatre expériences de guerres révolutionnaires et de contre-insurrection.

En 1945, il est envoyé pour la première fois en Asie, au sein des premiers éléments chargés de rétablir la présence de la France dans cette région du monde. Il y passera près de 10 ans. Affecté à la section de liaison française d’Extrême-Orient, il fait partie des quelques officiers présents en Mandchourie où il observe le développement de l’insurrection maoïste.

Il n’interrompt son séjour en Asie que pour participer brièvement à la mission des Nations Unies chargée d’observer la guerre civile qui ravage alors la Grèce (1949-1950) où il est témoin de l’échec du mouvement révolutionnaire communiste et de la victoire des forces contre-insurrectionnelles.

De 1952 à 1956, Galula est affecté à l’ambassade de France à Pékin et Hong Kong comme attaché militaire. Il assiste à la victoire du Parti Communiste Chinois et analyse les méthodes du régime de Mao pour asseoir son emprise sur la population.

Il étudie également la guerre d’Indochine, sans y prendre part.

En Algérie de 1956 à 1958, le capitaine Galula commande la 3e compagnie du 45e Bataillon d’Infanterie Coloniale. Il se participe avec succès de la pacification. Il applique en Kabylie les méthodes de contre-insurrection qu’il a tirées de ses observations antérieures. Ses résultats sont remarqués. Son avancement, jusque-là assez lent, s’accélère brusquement. Il est sollicité pour une série de conférences à l’étranger et est affecté à l’état major de la Défense nationale.

La renommée de Galula en France reste cependant assez confidentielle. En 1962, il démissionne de son grade de lieutenant-colonel et demande sa mise en disponibilité. Il s’installe aux États-Unis où il obtient un poste d’associé de recherche au Center for International Affairs de l’université Harvard. En qualité de professeur associé, Galula rédige deux livres : "Pacification en Algérie" en 1963 et surtout, en 1964, "Contre-insurrection : théorie et pratique". Ses écrits basés sur son expérience en Indochine, en Grèce et en Algérie, analysent les paramètres favorables et défavorables d’une guerre révolutionnaire du point de vue des forces loyalistes ou révolutionnaires. Galula se livre à une étude pointue des objectifs et procédés des mouvements insurrectionnels mais aussi théorise les méthodes de contre-insurrection. Sa propre expérience lui confère une connaissance affinée du processus de soulèvement et il en dévoile certaines failles que l’on retrouve dans tous les exemples de guerre révolutionnaire.

De retour en France, David Galula meurt d’un cancer à Arpajon en 1968.

Réhabilitation posthume

La France n’a pas su reconnaître de son vivant la valeur de ce grand stratège que fut Galula contrairement aux cercles universitaires américains dans lesquels il a évolué.

Ses travaux, tombés dans les oubliettes de l’histoire, sont restés dans les archives jusqu’en 2003. Avec la guerre en Irak, les Américains doivent faire face à une insurrection qu’ils n’arrivent pas à maîtriser. En 2005, l’US Army redécouvre le livre de Galula sur la contre-insurrection. Il est estimé si intéressant que sa lecture est imposée aux officiers stagiaires du Staff College de Fort Leaven Worth (Kansas). Mieux encore : ses théories sont enseignées dans les écoles militaires américaines et le manuel de doctrine de contre-insurrection destiné aux hommes de l’US Army et des Marines s’inspire fortement ses thèses de Galula.

Le livre est traduit en français et publié en janvier 2008. La préface est signée par le commandant en chef des forces américaines en Irak, le général H. Petraeus en personne. Ce dernier qualifie Galula de “penseur militaire français le plus important du XXe siècle”.

Les Américains voient chez lui une synthèse de l’expérience française en Algérie, qui leur semble assez proche de leur situation actuelle en Irak.

Applicabilité des théories de Galula dans les conflits actuels

Bien que datant de 1964, le livre de Galula demeure un document de référence pour ceux qui étudient la façon de faire face aux différents mouvements subversifs ou révolutionnaires.

Galula reprend des constats faits par l’ensemble des théoriciens de la guerre révolutionnaire : le soutien de la population est l’enjeu principal du conflit, le renseignement est la clé du succès. Les solutions qu’il propose n’impliquent pas systématiquement l’usage de la force. Galula propose plutôt une sorte d’argumentaire pour convaincre la population qu’elle ne sera pas plus en sécurité ou plus prospère dans le régime que propose l’insurrection.

Il résume la nature de la guerre comme "la construction ou la reconstruction d’un appareil politique au sein de la population." Citant Mao Zedong : "une guerre révolutionnaire est à 80% des actions politiques et à 20% des actions militaires".

Les théories originales de Galula font la démonstration que la victoire de l’insurrection n’est pas une fatalité et que les moyens de la combattre reposent avant tout sur les facteurs d’implication des pouvoirs politiques dans la conduite des opérations de stabilisation et sur la qualité de la coopération interministérielle comme clés de la victoire.

La finesse de certaines observations de Galula, comme la psychologie des insurgés ou les réactions de la population, méritent d’être méditées. Les préceptes qu’il propose, à commencer par l’adaptation de l’appareil législatif aux conditions de l’insurrection, sous-tendent une stabilité politique et une indépendance vis-à-vis de l’opinion comme modalités nécessaires à la réussite des objectifs fixés.

Qu’aurait prôné Galula à propos du conflit qui oppose directement une démocratie comme Israël à l’insurrection palestinienne ou du Hamas ? Au tour de Tsahal aujourd’hui de s’inspirer de ce stratège précurseur.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2010