Alexandre Friedmann, le théoricien du Big-bang

Cosmos

Le brillant mathématicien et physicien russe Alexander Friedmann est l’un des pères de la théorie du Big-bang. Spécialiste de l’atmosphère et des phénomènes météorologiques, il est passé à la postérité pour son hypothèse révolutionnaire sur l’expansion de l’univers.

Alexandre Friedmann est né à Saint-Pétersbourg (Russie) en 1888, dans une famille d’artistes. Brillant élève, il étudie la théorie quantique et la mécanique statistique. Il sort diplômé de physique mathématique en 1910. En 1914, le jeune scientifique devient enseignant au Collège des Mines de sa ville natale. Pendant la Première Guerre mondiale, il s’enrôle volontaire dans l’aviation russe en tant qu’expert technique et pilote de bombardier. En 1918, dans la toute jeune Union soviétique, le mathématicien est nommé professeur à l’université de Perm (dans l’Oural), puis de 1920 à 1924, à l’université de Leningrad où il mène ses travaux de cosmologie. Parallèlement, il poursuit ses activités aéronautiques ainsi que ses recherches sur le champ magnétique terrestre, la mécanique de liquides et la météorologie théorique.

Du fait de l’isolement des scientifiques soviétiques, Friedmann ne découvre l’existence de la théorie de la Relativité Générale d’Einstein, fondée en 1915, qu’en 1920. Jusqu’à cette date, les savants dont Albert Einstein lui-même, conçoivent le cosmos comme une entité statique, sans aucune évolution et n’imaginent pas la possibilité d’un univers variable. L’idée de « début », fortement apparentée aux termes de Genèse et de Création, fait bondir les physiciens qui y voient un amalgame scientifico-religieux. Alexander Friedmann reprend pourtant les bases d’Einstein et cherche des solutions à ses constantes cosmologiques non résolues. Il entrevoit le premier que la loi mêlant gravitation, temps et espace permet l’étude de la structure du cosmos dans son ensemble. En parfaite adéquation avec la théorie de la relativité, le mathématicien émet l’idée en 1922, que l’univers n’est pas statique mais dynamique dans le temps, impliquant notamment une singularité originelle. En développant ses modèles réalistes dans lesquels l’espace est en expansion, Alexandre Friedmann montre que celui-ci, considéré d’un point de vue global, peut être décrit par trois paramètres, trois types d’évolution dans la durée : soit une courbure positive de l’espace-temps, sot une courbure nulle, soit une courbure négative. Selon le savant, le cosmos qui change de taille au fil de l’évolution, est déterminé aussi bien par sa géométrie que par son variation au cours des âges.

Le fondement de cette cosmologie non statique expose donc plusieurs sortes d’univers possibles, dépendants directement de la densité de matière dans l’espace. Si ce dernier en contient relativement peu, l’attraction gravitationnelle mutuelle entre les galaxies diminue légèrement leurs vitesses d’éloignement et l’univers s’avère indéfiniment en expansion. Le cosmos est alors ouvert, de taille illimitée. Dans ce premier cas, Friedmann démontre mathématiquement que dans un univers sphérique, né de rien, dont la masse est rassemblée en son centre, les galaxies s’écartent les unes des autres mais ne s’éloignent pas dans l’espace parce que celui-ci se dilate, s’étend et grossit comme un ballon. Si au contraire, la densité de matière est supérieure à une valeur critique, l’espace est "pulsant": il gonfle jusqu’au moment où la gravité l’emporte sur l’expansion. Dans ce cas, l’attraction peut ralentir la dilatation de l’univers, l’arrêter et le forcer à décélérer jusqu’à entraîner une phase de contraction menant à effondrement total. Il se courbe sur lui-même, devient elliptique et fermé, d’étendue limitée, permettant aux lignes parallèles de converger. Toute la matière se concentre alors en un point de volume nul, de densité et de température infinie. A ce moment là, l’univers "rebondit" et entame un nouveau cycle d’expansion-contraction. Enfin si l’univers contient une juste quantité de matière, il arrive à une quasi-stagnation, ni ne s’effondrant, ni infiniment en expansion.

Aussi, l’un des buts majeurs de la cosmologie moderne tend à déterminer les trois paramètres cruciaux décrits par le physicien russe.

C’est donc Alexandre Friedmann et non Albert Einstein qui déduit que la théorie de la relativité générale permet l’existence d’un univers en expansion, issu d’une " explosion " initiale. Grâce à elle, le cosmos a une histoire : une naissance, le big-bang qui trouve ici sa première formulation ; une croissance, l’expansion actuelle ; et peut-être un jour une mort. Il s’agit là d’une idée réellement révolutionnaire pour l’époque. D’ailleurs, personne ne prend au sérieux les théories de Friedmann qui sont alors traitées d’élucubrations. Et pour cause, il ose évoquer que le monde aurait été bâti… à partir de rien !



En septembre 1925, Alexandre Friedmann entreprend un vol en ballon stratosphérique à des fins d’observations météorologiques et médicales, durant lequel est battu le record d’altitude (7 400 mètres). Deux mois plus tard, il décède subitement des suites d’une fièvre typhoïde. Mort précocement à l’âge de 37 ans, le cosmologue n’a jamais pu voir ses prédictions vérifiées dans la pratique. Ce qui n’est à l’époque qu’hypothèse va bientôt être confirmé par les observations de l’astronome américain Edwin Hubble en 1929 : toutes les galaxies s’éloignent effectivement les unes des autres et donc l’espace se dilate. La plus spectaculaire preuve de l’existence du Big Bang (il y a 13 milliards d’années environ) reste la découverte, en 1965, du rayonnement fossile (transfert d’énergie électromagnétique issu de l’époque dense et chaude de la naissance du cosmos) baignant l’espace en entier. Il s’agit de la trace indélébile, maintenant refroidie, que l’univers a laissée de sa jeunesse, lorsqu’il était encore brûlant et contracté.

De nos jours, les modèles de Friedmann sur l’état d’équilibre de l’univers et l’origine du monde servent encore de référence cosmologique en astrophysique.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2014