Portrait voilé : Yva Chon-Faure, une peintre à la recherche de l’identité niée

Récemment montée en Israël, cette artiste multiple (qui écrit également), historienne de l’Art Contemporain et spécialiste de la Renaissance italienne, est à découvrir. Jamais encore exposée chez nous contrairement à la France, son arrivée offre l’occasion de se pencher sur son œuvre généreuse.

Fille unique, aujourd’hui mère de 2 enfants, Yva Chon-Faure est née à Lyon avant-guerre, dans une famille juive ashkénaze assimilée. De son père médecin au caractère dur, sévère et autoritaire elle apprend très tôt à se forger une personnalité dans un cadre rigide et organisé. De sa mère, elle découvre le dessin, comme l’expression d’une sensualité affective. C’est l’enfance de l’art. Comme toute sa génération, elle connaît la guerre et son cortège d’atrocités. Elle en garde en mémoire des sons et des images vives d’assassinats auxquels, petite fille, elle a assisté alors, dans l’impuissance de son innocence. Son père est déporté dans un camp en Allemagne. Elle se réfugie avec sa mère près de la frontière espagnole. Après la guerre, son père revient de déportation. Elle a 13 ans quand ses parents divorcent. Yva réalise ses débuts à 14 ans et peint son premier tableau. C’est tout naturellement qu’elle se dirige vers les Beaux – Arts après son baccalauréat. Dès la fin de ses études, elle commence à exposer régulièrement dans des galeries de Paris et de Toulouse où elle vit alors, ainsi que dans les musées de Perpignan et de Montpellier. Plus tard, certaines de ces toiles seront même exposées au Vietnam. Yva a d’ailleurs aussi vécu une quinzaine d’années à l’étranger : Espagne, Algérie, Sénégal. Mais ne se sentant jamais tout à fait à sa place en France, Yva a finalement décidé de franchir le pas et de venir vivre en Israël. Une peinture qui dessine Yva Chon-Faure ne revendique pas un style fixe et figé. Au contraire. Elle travaille par cycle, par série mais toujours dans le même prolongement, comme une sorte de thème récurant.

Dans son œuvre, le dessin domine. Elle travaille le tracé, la couleur par la technique du recouvrement c’est-à-dire par couches successives. Elle peint involontairement des images cachées, entr’aperçues, comme intérieures, entrouvertes ; pour elle, une œuvre aboutie ne doit pas totalement se voir pour laisser au ‘’regardeur’’ une marge de liberté dans son interprétation personnelle. S’inscrivant dans la même démarche, cette rencontre du voilé/dévoilé, sorte de leitmotiv ou d’obsession répétée qu’elle nous propose, Yva l’exprime également en mélangeant et superposant les matières (toile, papier de Chine, plexiglas, grillage, tissu, Rhodoïd). Elle interprète sur la toile une image schématique qui organise le reste. Sa motivation de création est animée par une réflexion qui va prendre forme au fur et à mesure de l’avancement de la peinture. Ses sources d’inspiration peuvent venir d’impressions variées, d’images fortes, de souvenirs. Yva ne considère pas son parcours comme un aboutissement mais plutôt comme une direction vers laquelle elle tend. Son but est de toujours avancer, traverser la vie avec souplesse. Yva Chon-Faure ne se demande pas ce qu’elle aurait fait d’autre si elle n’avait pas été peintre. Ce qui compte avant tout, c’est le présent, c’est aujourd’hui, c’est ce qu’elle est. Yva est peintre par nature. Cela répond à quelque chose de très profond en elle, un besoin d’exprimer, de traduire sa sensibilité. Une sorte de luxe. Mais attention, il ne s’agit pas là d’une artiste enfermée dans sa tour d’ivoire, insensible et sourde à la fureur du monde. Non, Yva vit avec son temps, son époque, à l’écoute de l’humanité avant tout. L’important est de se comporter en être humain avant d’être peintre, selon son ordre des priorités.

Un courant continu nourri de lecture, de musique et de nature, s’il fallait définir Yva Chon-Faure, petite femme dynamique, on pourrait la comparer à l’eau : un courant continu qui coule, calme en surface mais bouillonnant en profondeur. Fluide, il poursuit imperturbable son chemin, même en se cognant, en tourbillonnant. Comme lui, elle veut rester libre de penser, de critiquer, de décider, de bouger, sans projets fixes mais avec une orientation, une direction de vie. L’eau comme source de vie est vivifiante, symbole de féminité et de Téchouva. Le regard qu’Yva porte sur son travail solitaire est comme une nécessité urgente, celle de vouloir montrer tout en cachant, de tracer. Cet acharnement à peindre de jour comme de nuit, peut se révéler, si elle n’y prend pas garde, comme une sorte de drogue. Sa création permanente, sans épuisement, traduit une analyse et des contraintes personnelles pour les dépasser. Elle exprime une recherche de soi où la vie et la peinture s’entrecroisent, se rencontrent comme dans un dialogue intérieur. Se définissant comme une peintre juive, Yva n’échappe pas à ce problème d’identité. Tout artiste s’interroge sur cette question précise et difficile. En effet, Yva Chon-Faure assume totalement ce statut et le revendique. Aujourd’hui, elle jouit enfin d’un vrai statut dans lequel elle se reconnaît pleinement : sa nouvelle nationalité israélienne. Nourrie également de Judaïsme, elle jongle inconsciemment avec la symbolique des chiffres, sorte de mystique instinctive.

Et la vie dans tout ça ? Comme Dieu, elle est partout. Bien que de caractère plutôt distant de prime abord, Yva sent la nécessité d’aller vers les autres, d’avoir prise sur la réalité, de s’impliquer, d’être là. La vie est bien le mot qui résume Yva Chon-Faure. Il implique à la fois 3 pôles importants : la peinture, la religion et le respect. Pour accepter la mort et lui construire un rempart, Yva donne, agit, toujours en mouvement. Une vie bien remplie, voilà son secret. Et si vous lui demandez quels sont ses prochains projets, elle vous répondra sûrement, comme une évidence, dans un sourire : ’’ Vivre, tout simplement’’.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2002