Dan Groover : l’art du performing

Day 6

Né en Israël mais redescendu en France à l’âge de 7 ans, Dan Groover a débuté sa carrière à Paris à l’aube des années 1980, avec l’apparition de la culture urbaine Hip-hop. Adolescent, il exprime d’abord sa créativité sur les murs de la capitale, du métro, des autoroutes, des chantiers et des voies ferrées par des graffitis colorés. Puis, rejoignant sa famille partie vivre aux Antilles, le jeune homme découvre de nouvelles influences. Après avoir fréquenté l’Ecole des Beaux-arts pendant un an, il réalise tags, fresques murales, tableaux géants et décors. Les commandes institutionnelles s’enchainent. Au bout de 7 années passées en Guadeloupe, Dan Groover décide de monter en Israël et s’installe à Jérusalem en 1995. Il a déjà exposé à Paris, New-York et Jérusalem.

Pourquoi avoir choisi ce patronyme comme nom d’artiste ?

Dan Groover : Quand j’étais adolescent, mes amis m’ont surnommé Groover à cause de la musique populaire noire américaine que j’écoutais. Lorsque j’ai commencé à taguer dans les années 80, j’ai gardé ce pseudonyme pour signer mes graffitis puisque cette pratique était illégale.

Quand avez-vous commencé à peindre ?

D. G. : Depuis petit, je dessinais, griffonnais des B. D. ou des tags qui sortaient assez bien. J’avais 14 ans quand j’ai peint ma première fresque de 2 ou 3 mètres de long. Après, j’ai continué. J’ai senti que c’était là le moyen de m’exprimer tout en gardant un certain anonymat. C’est un art discret mais qui procure de l’adrénaline.

Vous définissez-vous comme graffeur, taggueur, peintre, graphiste, artiste polyvalent ?

D. G. : Je me détermine comme un artiste peintre – photographe. J’ai un statut d’indépendant.

Art et judaïsme vont-ils aisément de paire selon vous ?

D. G. : Le judaïsme a été fondé par les artistes : le premier homme a chanté pour louer dieu, ses descendants ont créé les instruments de musique, le roi David a composé des psaumes, le roi Salomon a écrit le Cantique des Cantiques. Les enluminures et les broderies du Temple ont été confectionnées par des artistes. Pour moi, la plus grande dimension du judaïsme se retrouve dans l’art comme sa véritable expression. L’exil a tenté en vain de lui ôter cet aspect.

Qu’est-ce qui vous a poussé vert l’art et la téchouva ?

D. G. : Je me sens Juif depuis l’enfance mais c’est l’art qui m’a mené à la téchouva. Je trouvais la peinture trop superficielle alors je me suis intéressé aux livres, à des conférences, à la philosophie, à la théologie pour arriver enfin au judaïsme. J’ai découvert ses messages, sa richesse, son immensité, sa profondeur, sa beauté. Le judaïsme m’a donné de nouvelles directions. Aujourd’hui, je ne me définis pas par rapport à une tendance particulière. Je les aime toutes et ai étudié chez chacune.

Comment décrivez-vous votre lien à Israël ?

D. G. : j’ai toujours su au fond de moi que je monterai un jour. Mais je ne savais pas pour quelle raison. Grâce à ma téchouva faite aux Antilles, je suis venu en Israël. Maintenant que je vis et travaille ici, les liens se resserrent. Je ressens cette attache avec la terre comme un lien familial : tel un père et son fils. Je suis un fils d’Israël. Si je quitte le pays, j’ai l’impression de laisser ma famille.

Où trouvez-vous vos inspirations, vos influences ?

D. G. : Tout m’intéresse : l’actualité, le monde, le judaïsme. Je cherche dans ce dernier des textes que je traduis sur canevas par la symbolique du sens des lettres hébraïques. Pour mes dessins, je m’inspire des midrachim car leurs images sont évocatrices ainsi que des prophéties pour leur richesse. Je peins aussi du contemporain.

Quels thèmes privilégiez-vous ?

D. G. : L’histoire moderne d’Israël, Jérusalem, la spiritualité (peu demandé par les galeries), des portraits. Des clients, particuliers ou galeristes, me proposent également des sujets. Mais je dirai que je ne fais pas de ‘’peinture juive’’ même si certaines de mes séries, des commandes, sont 100% judaica comme celle des portraits de rabbins.

Quelles techniques utilisez-vous suivant le type de travail ?

D. G. : Je touche à toutes les techniques : huile, aérosol, acrylique, pochoir, light painting (transparence), numérique. C’est le projet qui définit le choix.

Votre public a-t-il changé, évolué depuis vos débuts ?

D. G. : Au niveau graffitis, ma notoriété a plutôt baissé car ce style qui s’adresse surtout aux jeunes n’est pas développé en Israël. Par contre, au plan artistique, ma cote a plutôt augmenté. Je travaille avec des galeries en Israël et à l’étranger pour des clients extranationaux. D’un autre côté, j’expose seul pour le public francophone et israélien local.

Comment se porte le marché israélien de l’art par rapport à la France ?

D. G. : Le marché local s’avère trop petit et pas assez structuré de façon appropriée (pas de subvention, de communication). Il fonctionne en cercle fermé et reste essentiellement tourné vers l’étranger, surtout vers les touristes russes ou américains. Les Israéliens ne se révèlent ni connaisseurs, ni acheteurs. Il semble difficile de vivre de sa peinture ici. Les artistes ne sont pas pris en main et demeurent livrés à eux-mêmes. Il reste donc encore beaucoup à faire, si ce n’est tout à organiser.

Quels sont vos prochains projets ?

D. G. : Dans l’immédiat, pour le Yom Yéroushalaym, je vais réaliser en direct pendant 12 heures d’affilées, un happening au Cardo, à côté de la Hourba. Il s’agit de peindre une fresque murale. Comme il y a beaucoup de visiteurs en Vieille Ville à cette occasion, l’ambiance ressemblera à celle d’une grande fête, ce qui convient à la création et au performing art. Ainsi, mon œuvre reste liée au moment, au lieu et agit comme un pont entre les différents mondes – israélien/étranger, juif/non juif, religieux/laïc. L’exposition débutera le 20 mai. Une partie des fonds récoltés sera reversée à l’Association Israélienne des Enfants Diabétiques. De la sorte, l’exhibition allie art et hessed.

Noémie Grynberg 2012