Rosalind Franklin, une femme à l’origine de l’ADN

Franklin

Biologiste moléculaire et cristallographe, Rosalind Franklin est à la fois le produit de la haute bourgeoisie juive anglaise, intellectuelle et commerçante, et de l’université de Cambridge. Mais dans les années 50, le caractère bien trempé de cette pionnière dans la recherche biomoléculaire médicale dérange dans un monde scientifique encore presque exclusivement masculin.

Rosalind Franklin nait en Angleterre en 1920 dans une famille riche et instruite, comptant parmi ses ancêtres le premier Professeur juif dans une Université anglaise et le premier Lord Mayor juif de Londres ainsi que plusieurs femmes bien connues pour leur efficacité dans la gestion d’œuvres de bienfaisance. Rosalind est la deuxième d’une fratrie cinq enfants. Bien que de santé fragile, elle passe une jeunesse heureuse et reçoit une éducation moderne qui l’encourage à développer sa personnalité. Bien que réservée, Rosalind Franklin se révèle une enfant déterminée, intelligente et énergique. Très tôt, la jeune fille a l’ambition de faire ce que peuvent faire ses trois frères. Dès l’âge de 15 ans, elle décide de devenir « savant ». Une fois licenciée en physique/chimie, elle se concentre sur les études du carbone et de biophysique. Mais elle n’ignore pas que son parcours professionnel sera ardu : premièrement parce qu’elle est une femme douée, indépendante et directe évoluant dans un environnement scientifique extrêmement masculine, ensuite parce que qu’elle est juive de surcroît – ce qui ne la favorise pas. Qu’importe, la jeune savante décide rapidement de renoncer à fonder une famille afin de pouvoir se consacrer entièrement à sa carrière scientifique.

A 22 ans, Rosalind Franklin obtient un poste d’Attaché de recherche à la British Coal Research Association. En 1945, elle soutient un doctorat à l’Université de Cambridge et est reconnue dès 1946 comme une scientifique de talent. A la fin de la guerre, elle décroche une place au CNRS à Paris. En 1947, elle rejoint le Laboratoire Central des Services Chimiques de l’Etat où elle est rapidement intégrée dans un groupe de recherche dynamique, très ouvert à l’activité scientifique des femmes. Rosalind Franklin y est formée aux techniques de la diffraction des rayons X et à la cristallographie. La savante se révèle dotée d’une incroyable habileté dans cette technique de photographie. Son séjour à Paris, de 1947 à 1950, reste probablement la période la plus heureuse de sa courte vie. Elle publie plusieurs articles sur les phases amorphes du carbone et souhaite appliquer les procédés de diffraction des rayons X aux matériaux biologiques. Elle rentre en Angleterre en 1950 et prend un poste à King’s College de Londres où le Directeur du Département de Biophysique lui propose de travailler sur la structure de l’ADN (la molécule de l’hérédité).

Cependant, au laboratoire, Rosalind Franklin se heurte à ses collègues masculins qui prétendent que la jeune femme représente une entrave à leurs travaux. A cause de l’ambiance machiste de l’institut, elle reste isolée pendant les trois années qu’elle passe au King’s College. Ce qui ne l’empêche pas début 1953, de découvrir que l’ADN est composé de deux chaînes distinctes. Bien peu sont alors au courant de l’importance fondamentale de cette révélation obtenue par cristallographie. Les clichés de l’acide désoxyribonucléique réalisés par la savante sont ce qui se fait de mieux.

Pourtant, bien qu’entourée de collaborateurs et de collègues qui l’estiment profondément et reconnaissent sa valeur intellectuelle, Rosalind Franklin souffre de l’ambiance misogyne de l’institut. Elle quitte le King’s College de Londres et entre à Birbeck, une autre université londonienne où elle travaille durant cinq années très productives. La jeune chercheuse devient une scientifique reconnue au niveau international dans trois domaines : les charbons, l’ADN et les virus. Rosalind Franklin se distingue par l’excellence de son travail dans tous les domaines auxquels elle se dédie. Mais ce que la biologiste ne sait pas, c’est qu’elle abandonne les laboratoires de Cambridge alors que ses concurrents masculins lui ont subrepticement dérobé ses épreuves. Ce qui aura des conséquences fatales.

En effet, en avril 1953, ayant fait cause commune, James Watson, Maurice Wilkins et Francis Crick, les concurrents de Franklin, se procurent à l’insu de la jeune femme l’un de ses meilleurs clichés. Grâce à la photographie subtilisée sans le consentement de la chercheuse, et à l’élaboration mathématique de son image, les trois scientifiques ont l’intuition que l’ADN possède une forme hélicoïdale double. L’analyse précise des résultats des images de la biologiste permet au trio de révéler la structure en double hélice antiparallèle de la molécule transportant l’information génétique héréditaire. Armés d’un rapport non publié dans lequel Rosalind Franklin a formulé l’hypothèse de la fameuse structure en spirale de l’acide désoxyribonucléique, les trois savants finalisent le modèle tridimensionnel de l’ADN. Suite à quoi, James Watson et Francis Crick publient un article retentissant dans la revue « Nature » et annoncent au monde la découverte de la double hélice de l’ADN (grâce aux informations soustraites à la biologiste), découverte à laquelle la scientifique serait parvenue seule peu de temps après.

Rosalind Franklin décède en 1959 à l’âge de 39 ans, terrassée par un cancer des ovaires, probablement dû à une surexposition aux radiations qu’elle utilisait pour faire ses remarquables clichés aux rayons X.

Quatre ans plus tard, en 1963, pour les Britanniques Francis Crick, Maurice Wilkins et l’Américain James Watson, c’est la consécration finale. Ils reçoivent le prix Nobel de médecine pour leur travail sur la structure de l’ADN. Le trio passe sous silence la contribution de la chimiste à "leur" découverte. Décédée quatre ans plus tôt, Rosalind Franklin n’a jamais su que l’innovation à laquelle elle a tant travaillé a favorisé l’obtention du Prix Nobel par d’autres chercheurs. Aujourd’hui encore, peu de gens savent que c’est justement grâce aux recherches de cette savante que le trio est parvenu à la révélation qui a révolutionné la science du 20e siècle.

Le nom de Rosalind Franklin qui a pourtant tout au long de sa féconde mais brève vie, obtenu de brillants résultats, n’a commencé à être connu qu’après la publication du livre de Watson «La double hélice» en 1968. A dater de ce moment, la chercheuse devient un symbole féministe : celui d’une femme qui s’est vu nier la reconnaissance de son talent pendant que la gloire revenait à ses collègues masculins.

Nonobstant, les photographies de Rosalind Franklin restent parmi les plus belles images de rayons X jamais obtenues d’une substance et ont permis les premiers déchiffrages du code génétique.

Aujourd’hui, l’ADN se révèle une découverte cruciale et fondamentale pour l’humanité et pour la communauté scientifique puisque l’acide désoxyribonucléique joue un rôle primordial dans l’hérédité en contenant sous forme codée toutes les informations nécessaires à l’existence d’un être vivant. Cette révélation a induit par la suite de nombreuses autres découvertes et le décryptage de la totalité des mécanismes moléculaires de l’expression génétique. Il serait temps que le mérite de Rosalind Franklin à l’origine de cette révolution soit enfin reconnu à sa juste valeur et que l’Histoire des Nobel inclut enfin son nom parmi ses autres collègues récompensés.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011