Le rabbin qui croyait au Christ

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Aboutissement d’une longue recherche spirituelle personnelle, la conversion au catholicisme du Grand Rabbin de Rome, Israël Zolli, six mois après la libération de la capitale en 1945, fut vécue comme un drame par beaucoup de Juifs d’Italie.

Benjamin d’une famille juive de cinq enfants, Israël Zoller est né le 17 septembre 1881, à Brody, au sud-est de la Pologne alors autrichienne. Le père, propriétaire aisé d’une soierie à Lodz, en territoire russe se retrouve en difficulté financièrement lorsque en 1888 le Tsar décide de nationaliser toute entreprise dont les propriétaires seraient étrangers; l’usine de M. Zoller est confisquée sans compensation financière. Les fils aînés doivent chercher du travail ailleurs.

À sept ans, Israël suit l’école primaire hébraïque. Mais le goût de la connaissance religieuse lui vient principalement de son père.

En 1904, Israël quitte sa famille qu’il ne reverra en fait jamais. Tout en donnant des cours pour subvenir aux besoins des siens, il étudie la philosophie à l’université de Vienne, puis à celle de Florence où il achève un doctorat. Parallèlement, selon le souhait de sa mère, il poursuit ses études rabbiniques. Il est nommé en 1913 vice-Rabbin de Trieste alors port autrichien où les Juifs sont nombreux. Au cours de la première guerre mondiale, Israël est poursuivi par la police autrichienne comme partisan de l’Italie, car y ayant étudié. À la fin du conflit, Trieste est rattachée à l’Italie et Israël Zoller est nommé Grand Rabbin de la ville.

De 1918 à 1938, résidant toujours à Trieste, Zoller enseigne l’hébreu et les langues sémitiques anciennes à l’université de Padoue. Il maîtrise aussi bien la Bible que l’Evengile qui l’interpelle de plus en plus.

En 1938, il écrit un livre consacré à Jésus de Nazareth intitulé «Le Nazaréen».

Zoller est intellectuellement convaincu que «le Christ est le Messie ; le Messie est Dieu ; donc le Christ est Dieu», mais il n’a pas encore la foi ; celle-ci viendra sept ans plus tard.

Le rapprochement de Mussolini et de l’Allemagne hitlérienne entraîne, à la fin des années 30, des campagnes antisémites en Italie, surtout à proximité des frontières du troisième Reich.

Suite aux lois discriminatoires édictées contre les Juifs, Israël Zoller «italianise» son nom en devenant Zolli ; bientôt cependant, il est privé de sa nationalité italienne. En 1940, la communauté juive de Rome lui offre la place vacante de Grand Rabbin de la capitale, poste qu’il accepte.

En septembre 1943, après la chute de Mussolini et l’armistice signé par le roi d’Italie Victor-Emmanuel III avec les Anglo-américains, Hitler envoie des divisions allemandes occuper le nord et le centre de l’Italie. Himmler, chef suprême des S.S., juge le moment venu d’appliquer en Italie la politique d’extermination des Juifs. Il ordonne au chef des S.S. à Rome, le lieutenant-colonel Kappler, de rassembler tous les Juifs, hommes et femmes, enfants et vieillards, pour les déporter en Allemagne. Kappler profite de l’ordre de déportation pour exercer un chantage. Il convoque les deux Présidents de la communauté juive de Rome et les somme de lui remettre dans les vingt-quatre heures 50 kilos d’or, sous peine de déportation immédiate de trois cents otages juifs, dont Zolli. Le lendemain, la communauté juive n’ayant pu rassembler que 35 kilos d’or, elle demande au Grand Rabbin d’aller au Vatican pour essayer d’emprunter ce qui manque. Il parvient à entrer au Vatican, dont toutes les issues sont contrôlées par la Gestapo, par une porte dérobée à l’arrière de la Cité, et expose au Secrétaire d’État de Pie XII, sa demande d’un prêt de 15 kilos d’or, donnant comme garantie sa propre personne. En peu de temps, Zolli apprend que la quantité d’or exigée a déjà pu être recueillie, grâce à la contribution de prêtres et de nombreuses organisations catholiques.

Cependant, le Grand Rabbin s’efforce de convaincre les Juifs de Rome de se disperser pour éviter la déportation. Bientôt l’ambassadeur allemand auprès du Saint-Siège, von Weizsäcker, secrètement hostile à la politique nazie, avertit le Pape qu’Himmler a ordonné la déportation de tous les Juifs d’Italie. Pie XII permet au clergé romain d’ouvrir les sanctuaires afin de recevoir les Juifs qui viendraient s’y cacher. Zolli, dont la tête est mise à prix, vit les neuf mois suivants dans la clandestinité et parvient ainsi à échapper à la Gestapo. Mais malgré les précautions prises, dans la nuit du 15 au 16 octobre 1943, un millier de Juifs romains (sur environ 8000) sont arrêtés et déportés ; la plupart ne reviendront jamais.

Le 4 juin 1944, la ville de Rome est libérée par les forces américaines. Par décret ministériel du 21 septembre 1944, Zolli, démis de sa charge sept mois auparavant, redevient Grand Rabbin de Rome. Quelques jours après avoir officié pour la fête de Kippour, en octobre 1944, le Grand Rabbin renonce à sa charge et va trouver un prêtre afin de compléter son étude de la foi chrétienne. Le 13 février 1945, Israël Zolli et sa femme reçoivent le sacrement du Baptême. Le rabbin choisit pour prénom chrétien celui d’Eugenio, en hommage à l’action du Pape Pie XII pour son action en faveur des Juifs de Rome pendant la guerre. Un an plus tard, c’est au tour de leur fille de se convertir. Eugenio Zolli explique son geste comme l’aboutissement d’une longue évolution spirituelle, d’un appel, d’une révélation. La nouvelle du baptême du Grand Rabbin de Rome déclenche une onde de choc au sein de la communauté juive.

Jusqu’alors ayant toujours vécu de ses honoraires de Rabbin et de professeur, à soixante-cinq ans, Zolli se trouve brutalement confronté à de graves problèmes de subsistance.

Sur l’intervention du Saint-Père, Eugenio Zolli est nommé professeur à l’Institut Biblique Pontifical. En octobre 1946, il entre dans le Tiers-Ordre de Saint-François dont la caractéristique est la pauvreté évangélique.

Pendant les dernières années de sa vie à Rome, Zolli travaille à améliorer les rapports entre l’Eglise catholique et la Synagogue. Il se partage entre sa charge de professeur et son travail d’écrivain.

Mais en janvier 1956, il est atteint d’une broncho-pneumonie. Le matin du vendredi 2 mars, tombé dans le coma, Eugenio Zolli reçoit la Sainte Communion et meurt.

‘’Je n’ai point renié. Je n’ai que la claire et sûre conscience d’avoir affirmé moi-même sans rien renier".


Noémie Grynberg 2006